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Récit de vie : Victor et Louis Dailly 1904-1924 (2)

Victor et Louis sont dans leur quatrième famille d’accueil. Leur mère nourricière, devant la difficulté d’accueil des deux frères, demande à l’Assistance Publique de se séparer de Victor « le plus difficile » des deux frères. (Voir article précédent en cliquant ici).

La réponse de l’Inspecteur départemental, qui transite par le Maire, est sans appel : « Je ne saurais séparer les 2 enfants et en conséquence elle devra ou les garder ou les rendre tous les deux ». A minima, nous resterons ensemble. Angèle Monnier, se range à l’avis du Département et décide de nous garder tous les deux. Je ne serai donc pas séparé de mon frère.

Nous avons du caractère, mais travaillons bien à l’école.

Si Victor est jugé « délicat », il est de de grande stature, « bien tenu », mais au caractère entêté. On dit de moi que je suis physiquement fort, en bonne santé, mais également « entêté ». Avec Victor, nous faisons front commun. Nous sommes tous les deux « propres et bien tenus ».

À 7 et 8 ans une telle vie nous a déjà bien forgé le caractère. Nous fréquentons tous les deux l’école où nous avons aussi plaisir à jouer avec d’autres enfants de notre âge. Nous sommes assidus et faisons des progrès; on dit même de moi que je suis intelligent.

En août 1910, Henri Monnier écrit à l’Assistance pour « rendre les enfants qu’il ne peut garder car sa femme est malade ». Trois jours plus tard, son épouse écrit à son tour aux mêmes services pour indiquer que son mari a écrit « contre sa volonté ». Elle précise que « les deux frères ne s’accordent pas », que la nourriture est chère et elle renouvelle sa demande de me garder et de se séparer de Victor.

Mme Monnier déclare qu'elle s'est attachée à nous et, prévoyant la réponse de l’Inspecteur, ajoute que se séparer de nous deux créerait un trop grand vide pour elle.


Courrier d'une mère nourricière à l'Assistance Publique de l'Eure
Courrier femme Monnier à l'Assistance Publique (1)
Courrier d'une mère nourricière à l'AP de l'Eure
Courrier femme Monnier à l'Assistance Publique (1)

La réponse du Département est bien sûr la même, le règlement interdit la séparation de deux frères et nous restons donc tous les deux à Notre-Dame-du-Vaudreuil.

L’année suivante, début 1911, il semble que nos traits de caractère se renforcent. Victor serait un « mauvais sujet » ! Que veulent-ils dire par là ? Je n’échappe pas au même jugement d’enfant « malfaisant et entêté ». Comment peut-on nous juger ainsi sans prendre en compte ce que nous avons vécu. D’ailleurs, cela ne nous empêche pas de continuer à bien travailler à l’école.

La situation se tend dans notre placement…

La situation devient difficile durant les congés scolaires de cet été 1911. La chaleur de l’été n’arrangeant pas les choses, les relations se tendent et, moi-même, j’ai du mal à reconnaître mon frère. Victor « pique des crises, refuse de manger des journées entières, lance des pierres sur les gens et brise meubles et vaisselle ». Angèle, notre mère de substitution, me semble pourtant s’être attachée à nous.

Désemparée, elle prend l’initiative d’appeler le médecin de famille. Celui-ci prend rapidement la mesure de la souffrance de Victor et suggère aux services départementaux de le rapatrier à Évreux.

Son rapport parle « d’anomalies du caractère, de crises de méchanceté qui font penser à un certain degré de dégénérescence » et, en conclusion, considère qu’il est justiciable de traitements spéciaux. Si la conclusion est juste, le jugement semble aussi rapide qu’abrupte. Les progrès de la psychanalyse des enfants et des adolescents sont déjà réels à cette époque, mais ils n’ont certainement pas encore été largement diffusés et intégrés par l’ensemble des médecins de famille et des services sociaux.

… je suis séparé de mon frère.

L’Inspecteur départemental se range à l’avis du médecin et autorise nos parents de substitution à ramener mon frère à Évreux où il devrait être suivi à l’hospice. La séparation est dure pour moi qui voit partir mon seul lien de rattachement, celui avec qui j’ai jusqu’ici tout partagé, même si ça n’est pas toujours facile entre nous, je dois le reconnaître.

Mme Monnier, elle aussi, est bouleversée de se séparer de mon frère. Prise de remords elle écrit à l’Assistance pour dire ce qu’elle n’a pas pu exprimer quand Victor est parti : « Victor n’est pas un vicieux, ses comportements sont dûs, je crois, à son état nerveux car c’est dans la chaleur qu’il est le pire ». Son attachement à notre égard, après ses trois premières années est maintenant manifeste, à tel point qu’elle sollicite, une fois que Victor sera « soigné », de pouvoir le reprendre et ainsi nous réunir. Elle ajoute même, « Je m’étais promise de bien les élever jusqu’à leurs treize ans » !


Courrier d'une mère nourricière à l'AP 27
Courrier femme Monnier à l'AP 27
Courrier mère nourricière à l'AP 27 suite
Courrier femme Monnier à l'AP 27 suite

Cette fois-ci, nous sommes séparés. Nous retrouverons-nous quand mon frère Victor sera soigné ? Vous le saurez dans le prochain épisode de ce "récit de vie"...

 
Le Récit-de-vie

Il s'agit, dans un article unique, ou bien dans une suite d'articles, de raconter en la contextualisant, la vie d'un ancêtre, d'un collatéral, d'une famille, voire même d'un village ou d'une paroisse.


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