Mary Eléonore reste internée et la médecine se résigne au constat qu’elle ne peut plus rien pour elle.
Arrive 1939 et la Seconde Guerre mondiale. Un rapport du Dr Galérant de la Royal Society of Médecine sur « L’Hôpital Psychiatrique départemental [ Saint-Yon] pendant la guerre de 1939-1945 » est instructif et édifiant. « Bien avant le début des hostilités, rares étaient ceux qui n’eurent la prescience du tragique destin réservé à l’hôpital psychiatrique, trop proche d’un complexe ferroviaire de la plus haute valeur stratégique pour être épargné lors des bombardements aériens d’une imprécision notoire. [-] 2.500 malades, 150 employés sédentaires, d’importantes installations agricoles et de nombreux ateliers. [-] Comment neutraliser les bombes incendiaires au milieu de locaux morcelés par d’innombrables et solides cloisons tributaires de serrures moyenâgeuses ? Comment s’échapper à travers des fenêtres garnies d’énormes barreaux ? [-] Le plus inquiétant, c’est qu’un exercice d’alerte sur ce thème s’est très mal passé : des malades calmes ont rechuté et il a fallu ranimer des asphyxiés réels, victimes de leurs compagnons en plein délire. [-] Il y eut quelques semaines d’inquiétude. Après quoi, l’indécision fit place à l’indifférence ».
On peut facilement imaginer le calvaire vécu par Mary Eléonore et l’ensemble des malades hospitalisés. Ses propres hallucinations, les délires de ses compagnes d’infortune, le hurlement des sirènes d’alerte et les passages en rase-mottes de l’aviation rendent leur vie encore plus insupportable.
Marie, quant à elle, échappera aux souffrances à venir. Elle décède le 18 septembre 1940, âgée de 36 ans, puis est enterrée dans le cimetière interne à l’établissement.
Le Dr Galérant poursuit : « La vie suivait son cours routinier lorsque survint l’hiver 40-41, l’un des plus rigoureux du siècle. [-] La conception de l’hôpital reflétait le mépris de l’économie propre à ses opulents bâtisseurs du second Empire ; des engins monstrueux, voraces comme des locomotives, dispensaient une maigre chaleur que nul calfeutrage ne parvenait à retenir. Le manque de charbon entraîna un accroissement considérable des décès amplifié par la déficience de ravitaillement, surtout parmi les agités, incorrigibles gaspilleurs de calories. La famine excitait la hargne et des incidents déplorables se produisirent lors des chargements aux abattoirs où des employés hospitaliers furent malmenés ; des ventres-creux glapissaient : « De la viande pour les fous ! Qu’est-ce qu’on attend pour les laisser crever ! »
Mary Eléonore, elle aussi, souffre de ces pénuries et, comme les autres, son état physique se dégrade. Si l’on parle ici de l’Hôpital psychiatrique de Saint-Étienne-du-Rouvray, il convient de noter que cette situation, loin d’être exceptionnelle, est le lot de tout ce type d’établissements en France à l’époque.
On sait que l’eugénisme est mis en place depuis des années dans le troisième Reich Allemand. En France, la presse sous contrôle de l’occupant ne tarit pas d’éloges pour le Dr Alexis Carel, chantre de l’eugénisme célèbre pour son ouvrage « L’homme cet inconnu ». Favorable à l’euthanasie, il est un partisan d’un eugénisme négatif visant à éliminer « les tarés et les anormaux, individus néfastes à la perpétuation de la race ». Si les historiens divergent quant à la responsabilité en France du régime de Vichy, ils sont unanimes sur le constat : entre 40.000 et 70.000 malades mentaux sont morts dans les hôpitaux psychiatriques français durant la Seconde Guerre mondiale.
Considérés comme des personnes de catégorie A, adultes non-travailleurs de force, ils ont droit à 1.200 calories par jour. À peine deux tiers du nécessaire pour survivre. Mais contrairement aux nombreux Français dans la même situation, les malades ne peuvent chercher à compléter leur ration puisqu'ils sont enfermés dans leurs établissements.
En juin 1942 un bombardement touche l’hôpital où seule une femme médecin est blessée et doit être amputée d’une jambe. En décembre, un nouveau bombardement fait 2 morts et 36 blessés.
« L’hiver aux brouillards glacés calma les évolutions aériennes. Un répit aurait pu se lire sur le nécrologue hospitalier si n’avait succédé une famine digne des temps mérovingiens. Les malades dénutris mourraient à une cadence désespérante, en dépit des prouesses de l’Intendant et du chef de culture qui s’efforçaient de tirer quelques légumes du sol aride de l’asile ». Extrait du rapport du Dr Galérant.
Le 28 mars 1943, l’hôpital reçoit 96 bombes. Il y a 60 morts et 30 blessés. Mary Eléonore échappe à l’hécatombe.
Ce drame entraîne l’évacuation de 1.500 malades de l’hôpital, la plupart, dit le rapport, au dépôt de mendicité de Grugny, en pleine campagne normande. Il ne mentionne pas l’évacuation des 900 malades vers Clermont-de-l’Oise et ses annexes de Fitz-James et de la Ferme de Villers-sous-Erquery.
L’évacuation de l'asile de Saint-Étienne-du-Rouvray vers celui Clermont de l’Oise s’étale du 16 au 29 avril 1943 en neuf convois successifs. Mary Eléonore quitte Saint-Yon et rejoint la Ferme de Villers-sous-Erquery. On peut facilement imaginer ce qu’avec les autres malades, dont certains meurent en route, elle doit supporter.
La Ferme est une annexe de l’hôpital psychiatrique de Clermont de l’Oise, constituée de deux pavillons, dont le pavillon Edmond Vian pour les femmes. Construits en contre-bas d’un plateau froid et très venté, les restrictions de chauffage imposent de pénibles souffrances aux hospitalisés. « Jointes aux restrictions alimentaires elles ont eu des conséquences graves sur l’état sanitaire » écrit le Dr Hyvert. En 1941, la moitié de la population des hommes est morte de faim et de froid. C’est dans ce contexte que Mary Eléonore rejoint Erquery.
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Très bel article. Les familles, comme pour les prisonniers de guerre, pouvaient-elles envoyer des colis alimentaires aux internés ? J-C Leloup