Ce « RDVAncestral » avec Catherine Klein, ma bisaïeule, fait suite à celui du 17 février dernier. J’y avais fait la rencontre de cette ancêtre inconnue, objet de tant de questions. Si vous n’avez pas lu ce premier RDV, je ne saurais trop vous conseiller de le lire en cliquant ici, avant de prendre connaissance de ce second épisode; votre compréhension en sera facilitée…
Châtillon-sous-Bagneux, Maison de retraite Notre-Dame-d’Auray, le 16 mars 1899.
« Bonjour Mad…
— Vous avez de la suite dans les idées, dites donc…
— J’ai apprécié notre échange, le mois passé. Même si j'ai pu vous paraître insistant vous ne m’avez pas congédié sur le champ, comme vous auriez pu le faire; je vous en remercie. J'ai aussitôt eu envie de vous revoir et de faire plus ample connaissance… vous êtes ma bisaïeule, quand même ! »
Catherine Klein n’acquiesce pas… mais ne contredit pas non plus. D’ailleurs je ne lui en laisse pas le temps et tente de pousser l’avantage.
« Pourquoi avez-vous donné les prénoms d’Armand, Henri, Édouard à mon grand-père ? Henri, comme votre père, j’imagine, mais pourquoi Armand et Édouard... puis, après un silence, mais qu’importe, ce sont de jolis prénoms.
— Henri, en mémoire de mon père, en effet. »
La reconnaissance de notre lien de parenté est maintenant tacite entre nous.
« La vie a été dure pour notre mère lorsqu’elle s’est retrouvée veuve à Bouxwiller avec ma soeur et moi encore enfants, vous savez. Elle n’y avait plus de famille proche sur qui s’appuyer. »
Il est vrai, pensais-je en moi-même, qu’à l’époque en Alsace les bourgs étaient surpeuplés et la terre n’arrivait plus à nourrir et occuper tout le monde. De nombreux alsaciens quittaient la région. Le plus souvent vers la Russie tsariste, il est vrai, mais aussi vers Paris et l’Amérique.
« Elle a pensé qu’à Paris ça serait plus facile pour elle de s’en sortir et nous élever convenablement.
— Je comprends…
Un moment de silence nous est tous les deux nécessaires pour bien prendre la mesure de l'étape que nous venons de franchir. Nous nous sommes implicitement reconnus bisaïeule et arrière-petit-fils.
J’ose alors :
« Vous aviez 24 ans lorsque vous vous êtes retrouvée enceinte en cette fin 1846, à Paris. L’âge d’être mère, vous étiez déjà une femme.
— en effet…
— peut-être, avec le soutien de votre mère et de votre soeur, auriez-vous pu élever cet enfant, dis-je m’excusant presque aussitôt de ma question, ça n’est pas un reproche, je cherche juste à comprendre…
— La vie à Paris n’était pas forcément aussi facile que ma mère l'avait rêvée et il y était tout aussi difficile de s’en sortir…
— Certainement… »
Malgré mon acquiescement de circonstance, je veux en savoir plus...
« L’acte de naissance d’Armand mentionne que vous étiez rentière, à 24 ans… et sans me laisser le temps de poursuivre Catherine coupe net :
— Ça n’est pas moi qui ait fait la déclaration de naissance, mais la sage-femme ! Elle n'a sûrement pas su quoi répondre quand on lui a demandé ma situation et, prise au dépourvu, elle a improvisé cette réponse.
Puis, après un court silence, Catherine renchérit : ou bien c’est l’officier d’état civil qui a mal compris ! »
L’esquive est patente, ma question restera sans réponse. D’évidence ça n’est pas la peine que j’y revienne… Pourtant cette interrogation continue de ma tarauder : que peut donc bien recouvrir ce statut de rentière pour une jeune femme de 24 ans, mère-célibataire, sans héritage et issue d’une famille modeste ?
Si je ne veux pas que le lien ténu de confiance qui s’est établi avec Catherine se brise, il faut toutefois que je passe à autre chose. Tout du moins dans un premier temps…
« J'imagine que vous serez heureuse de savoir que votre fils a bien réussi sa vie. Après son apprentissage dans les métiers du livre, une fois libéré de ses obligations militaires, il a gravi les échelons avant de créer avec un associé la société de brochage "Monniot - Klein". Celle-ci a vite été reconnue sur la place de Paris. Il a même participé de la vie sociale du quartier de la Monnaie où il résidait.
— Tant mieux ! Mais dites-donc, si vous êtes ici c’est qu’il a eu une femme, et des enfants...
— Oui, en effet. De son premier mariage est né un fils, Louis, décédé à l’âge de treize ans. Ce fût une épreuve terrible pour le couple. Le temps a passé, et alors qu’il atteignait les 66 ans, un an après le décès de son épouse en 1913, il s’est remarié avec ma grand-mère, de 32 ans sa benjamine. De cette union est née ma mère.
— Hé bien Armand devait encore bien présenter… »
Je mesure le côté cocasse du RDVAncestral, qui me permet de donner à Catherine des informations sur des évènements qui, à l’époque à laquelle je la rencontre, ne sont pas encore intervenus. En même temps que je fais un voyage dans le passé, mon arrière-grand-mère en fait un dans le futur...
Je peux maintenant revenir à mes interrogations :
« J’aimerais encore vous poser une question…
— Vous pouvez toujours, la réponse n’engage que celui qui la reçoit… si réponse il y a...
— Vous êtes de confession protestante, n’est-ce pas ?
— Tout à fait…
— Armand a reçu le baptême catholique à ses trois ans, le saviez-vous ?
— Ma foi non… »
Avec cette question, qui peut paraître anodine, j’aborde en fait le point essentiel pour moi. Ma mère m’a toujours dit que son père avait été élevé par un certain Mr PIEL, « un homme bien » disait-elle. Mais elle m’avait aussi confié, sans même utiliser le conditionnel, que cet homme était le père biologique d’Armand ! Sur quoi se fondait-elle pour être aussi affirmative, je n’en sais rien. Avait-elle écrit cette histoire dans son imaginaire d’adolescente ou son père lui avait-il fait des confidences. Je regrette aujourd’hui de ne pas lui avoir demandé ce qui lui permettait d'affirmer cela. Sans doute étais-je trop jeune.
Un courrier manuscrit de ce Gustave PIEL, en ma possession, fait mention de l’accord qu’il a sollicité et obtenu de Catherine Klein pour faire baptiser l’enfant dans la religion catholique ! C’était pour lui, écrivait-il, la condition indispensable pour accepter de prendre l'enfant en charge. Ce courrier indique, à tout le moins, que Gustave Piel et Catherine Klein ont été en contact. Se sont-ils pour autant rencontrés ? Peut-être, en fait, se connaissaient-ils même, avant la naissance de l'enfant ?
« Avez-vous connu un certain Mr Piel… Gustave Piel ?
— Euh... non, ça ne me dit rien…
— C’est lui qui a accueilli et élevé votre fils, avec son épouse.
— Je leur en sais grâce. »
Catherine ne se départit pas. Ne se souvient-elle effectivement pas ou évite-t-elle habilement la question ? J’insiste…
« Je reviens au baptême d’Armand, M Piel affirme avoir sollicité et obtenu votre accord pour que votre fils soit baptisé dans le religion catholique…
— Vous me parlez là d’évènements qui remontent à près de cinquante ans, vous m’excuserez de ne pas m’en souvenir, n’est-ce pas ! Ne vous arrive-t-il pas d’oublier certains détails de votre propre histoire… »
Effectivement, pensais-je, qui n'a jamais eu la mémoire sélective… Une nouvelle fois mon arrière-grand-mère clôt l’échange me laissant définitivement face à mes interrogations.
Catherine tient manifestement à garder ses secrets et je peux la comprendre. Je ne regrette pourtant pas ces deux rencontres qui m'ont permis de connaître, un peu, cette bisaïeule imaginée. Les choix de vie cette femme, même s'ils ont pu faire l’objet de jugements de valeur, sont éminemment respectables. Pour les assumer, elle a dû faire montre d'une force de caractère qui force le respect.
« Vous excuserez, chère bisaïeule, mon impertinence et ma curiosité qui ont pu vous paraître déplacés. Oublions cela, si vous le voulez bien, et gardons le souvenir d'une belle rencontre.
— Oublions cela, en effet. »
Puis, après un temps,
« Merci de m’avoir permis de renouer avec une histoire volontairement interrompue, mais que vous m'avez finalement permis de réouvrir et de clore. Vous m'en voyez apaisée. »
Le silence s’installe une dernière fois. Nos regards qui jusqu’ici ne s’étaient que croisés, se fixent pour un dernier échange. Nous sommes, je pense, aussi émus l’un que l’autre de cette rencontre improbable. Sentant l’émotion monter je m’approche et pose ma main sur la sienne, en signe d'affectueux respect et d’adieu.
« C’est un bien beau diamant que vous portez, me dit-elle, observant mes mains…
— Oh oui ! Il m’a été transmis par ma mère qui, elle même, le tenait de son père. Votre fils...
— Au revoir, mon enfant, prenez soin de vous et continuez de porter la mémoire… »
Je quitte ma bisaïeule tranquille et sans regret de n’avoir pas les réponses pourtant attendues. Après tout, cette absence laisse opportunément ouvertes toutes les hypothèses pour continuer de nourrir mon imagination. Comme la vôtre, d’ailleurs…
Châtillon-sous-Bagneux le 16 mars 1899
Une semaine plus tard, le 23 mars 1899, Catherine Klein, 76 ans, célibataire, rentière, ne se réveillera pas de son dernier sommeil.
Le RDVAncestral
Le RDVAncestral est un projet qui mêle écriture et généalogie. Le principe est simple : partir pour une rencontre improbable d'un de ses aïeux, se transporter auprès de lui, à une époque et un lieu donnés. La publication des ces écrits est périodique, le troisième samedi de chaque mois.
J'ai choisi de m'inscrire dans cette dynamique et, ainsi, vous retrouverez désormais mensuellement cette rubrique sur le portail « Histoires Familiales ».
Bravo, en fait j'avais une question. Tu as pas vraiment voyager dans le temps ?
Signé : Antonin.T 😘🤔😳