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RDVAncestral : Guillaume LEMAIRE : à la recherche de mon sosa 2024

C’est à la rencontre de Guillaume LEMAIRE, (ca 1662 -1748), mon ancêtre à la 10e génération, et donc mon sosa 1012, que je me propose d’aller. Guillaume, garde-bois puis garde-chasse à Dreux, est connu comme le loup blanc dans la paroisse, je devrais facilement le retrouver. Me rendre à Dreux sera aisé, c’est là que je suis né !

Aujourd’hui, 2 février 1740, est inhumée Barbe Fouchet, épouse dudit Lemaire, décédée la veille. Le mieux est de me rendre directement au cimetière. Ah, oui, mais lequel ? Je connais bien le cimetière de Billy, à côté de la Chapelle-Royale, où reposent mes aïeux maternels. Celui-ci n’existait pas à l’époque, où on enterrait encore les morts à proximité des églises. Mais à Dreux, au 18e, il y avait deux églises, Saint-Pierre, que j’ai connue enfant, et Saint-Jean-en-la-plaine, détruite depuis. Selon l’acte d’inhumation c’est à Saint-Jean-en-la-Plaine que je dois me rendre. C'est un quartier que je connais bien pour y être né et allé à l’école… deux siècles plus tard

L’inhumation est terminée quand j’arrive, mais il reste un petit groupe autour du curé. Je m’approche pour essayer de repérer mon ancêtre quand chacun repart de son côté. L’homme que salue et raccompagne le curé doit être celui que je cherche. Malgré ses soixante-dix-huit ans, ou environ, le veuf, trapu, porte encore bien. Habitué à crapahuter à travers champs et bois, c’est d’un pas alerte qu’il s’en retourne. J’accélère pour le rattraper.

« Holà, l’ami !

Eh là… boujou ! répond-il en se retournant vers moi…

Je cherche Guillaume Lemaire... Lemaire « de la Fontaine », m’a-t-on dit…

— Hé bien, me vl’a mon gars. Et pourquoi qu’tu m’cherches ? »

Je vous épargne les traditionnelles explications que je lui donne en marchant sur le RDVAncestral, mon voyage dans le temps, notre lien à 10 générations. En fait, rien de tout cela ne semble étonner Guillaume, je dirais même qu’il s’en fiche carrément. D’ailleurs, il me coupe :

« Vas y, qu’est-ce tu veux savoir ? »

— Je recherche un lointain ancêtre, un certain Jacques Lemaire, qui aurait été marié avec Françoise Laveste, si ce qu’on me dit est vrai ». J’évite de lui dire, et je précise tout ça uniquement pour toi, cher lecteur, que Jacques Lemaire serait mon sosa 2024. Hé oui, moi aussi, je me décide à tenter de relever le défi qui consiste à retrouver l’ancêtre portant le numéro sosa de l’année en cours…

« Ah, oui, j’vois… puis après une hésitation, bon y fait frisquet ! Si t’as l’temps, viens jusque chez moi, on boira un coup ! À une pareille invite, qui refuse...

Top là, j’te suis ! ». En moi-même, je me dis que le contact sera plus facile si je le tutoie, c’est la pratique, à l’époque, entre « gens du peuple ».

Pas grand chemin à faire. Après avoir franchi la passerelle en bois sur la Blaise, à proximité de la place du Pressoir Saint-Jean (actuelle Place Louis-Philippe), nous arrivons rue des Caves. C’est là qu’il habite, dans une maison adossée à la falaise. À proximité de chez lui une des nombreuses fontaines que l’on trouvait en ville à l’époque, d’où il tient, peut-être, son surnom de Lemaire de la fontaine.

« Dis-donc, il fait meilleur chez toi qu’dehors !

— La protection de la falaise, c’est parfait ! En été, t’es au frais et l’hiver, ça t’protège de l’anordi !

— L’anordi, késako ?

— Ah, t’es point d’par chez nous toi, l’anordi, c’est le vent froid du nord, pardi !

— Euh, oui, bien sûr !

En effet, le seul feu qui couve dans la cheminée suffit à maintenir une chaleur, « acceptable » pour moi, mais certainement plus que suffisante pour l’époque.

« Tu connais l’vin drouais ? me lance Guillaume en sortant un pichet de vin du cru.

— Bah oui, j’en ai entendu parler…, il y a un écomusée de la vigne à Dreux, mais ça non plus je ne lui en parle pas, mais pour être honnête, j’en ai jamais bu ! C’est pas d’refus ! »

Et, ma foi, m’attendant à boire « une piquette », je suis agréablement surpris. Si ça n’est pas un vin de garde, il présente l’avantage de pouvoir être bu dès la première année. N’oublions pas qu’à l’époque, le vin participe de l’alimentation de base ! Qui plus est pour ceux qui sont amenés aux travaux de force, ou qui sont confrontés au froid et aux intempéries, comme un garde-chasse.

« Si tu m’as trouvé au cimetière, tu sais donc que je viens d’enterrer ma femme. Barbe Foucher qu’elle s’app’lait…

— Oui, c’est comme ça que j't’ai trouvé. Tes enfants étaient à l’enterrement ?

— Pour sûr que non… On en a pourtant eu six avec Barbe, mais sont tous morts jeunes. La dernière, Ève, a vécu jusqu'à 13 ans mais elle est morte y'a trois ans ! On est habitués à voir les mioches mourir, la vie est dure ! »

En effet, à la fin du 17e siècle et au début du 18e, les crises se succèdent dans le royaume, la gronde monte, les épidémies alternent avec les mauvaises récoltes. La courbe des décès a dangereusement pris le pas sur celle des naissances. Les seigneurs et les curés jouent de la situation en stockant les récoltes en attendant la hausse des cours, déjà ! Pendant ce temps-là, la populasse crève.

« Là, ça fait deux récoltes qui sont absolument catastrophiques… Quand y verse pas, c’est les grêlaées, pi les inondations qu’empêchent la terre de donner son dû. Bon, moi, j’me plains pas… La nature m’a doté d’une solide constitution pour résister et, comme garde-chasse, je ne suis pas dans une mauvaise posture… J’me débrouille et j’manque de rien, glisse-t-il dans un clin d’œil.

— Ça fait combien d’temps qu’t’étais marié avec Barbe ?

— Oh, j’sais pas… un peu plus d’vingt ans, j’pense… Ouais, c’est ça, quand j’l’ai mariée, j’avais passé la cinquantaine et elle en avait à peu près la moitié… Mais c’était pas ma première femme.

L’homme est franco de port, je peux l’être aussi…

« C'était qui, la précédente, t’as eu des mômes avec ?

— Ah, avec Marie Gatelais, j’en ai pas eu beaucoup... trois, j’crois bien… Tous morts à la naissance ou la première année. La Marie avait 21 ans au mariage… et l’était mignonne la p’tite. Bon, elle a pas survécu à la naissance du troisième. On s’ra pas restés longtemps ensemble…

Je n’ose pas en demander plus à Guillaume et préfère changer de sujet. Mais en fait, c’est sûrement moi le plus gêné. Pour l’ancêtre et ses contemporains, tout ça est dans l'ordre des choses.

« Parle-moi un peu d’ton métier, si tu veux…

— Môme, déjà, j’baroudais dans les bois et c’est comme ça qu’j’ai appris à connaitre la forêt, les essences, les fougères… J’avais pas mon pareil pour connaître les bons coins à champignons et j’faisais d’belles récoltes. En grandissant, j’ai aussi appris à poser les collets et, là aussi, j'étais pas maladroit… Pour moi, la vie c’est l'grand-air... et r’garde comme j’me porte, ça conserve, non ? Lâche-t-il dans un grand rire…

Qui situe à peu près Dreux, a sûrement entendu parler de sa magnifique forêt domaniale, appelée aussi forêt d’Anet. Mais ce que peu imaginent, c’est que Dreux, jusqu’au 18e, était entourée dans la proximité immédiate des remparts, de nombreux bois où se trouvent aujourd’hui les quartiers périphériques. Ces bois, à deux trois lieux à peine du centre-bourg, appartenaient au clergé qui en assurait l’entretien et la protection. Ou plus exactement, qui en confiait la gestion à des ouailles de confiance…

Plan du Bois du Chapitre et de la Ville de Dreux, 1588. Archives départementales d’Eure-et-Loir
Plan du Bois du Chapitre et de la ville de Dreux, 1588. Archives départementales d'Eure-et-Loir

« C’est comme ça qu’t’as été r’péré et embauché ?

— Bah oui, tiens ! Les Lemaire, les Percheron, les Blin, on était tous en famille et les curés nous avaient à la bonne. C’est un cousin ou mon parrain peut-être, un garde vieillissant, qu'a proposé au clergé de m’prendre avec lui et d’me former. Ils lui ont fait confiance. Ma force naturelle, qui sautait aux yeux, ma connaissance des bois et des gibiers, mais aussi ma réputation de braconnier (contrairement à c'qu'on pourrait croire) ont joué pour moi. J’avais aussi appris à lire. Enfin, à peu près, et même à écrire, un peu. Si c’était pas encore obligatoire comme maintenant, c’était un plus. J’ai pris la suite et j’ai plus quitté l’métier… Pour mon plus grand bonheur.

— J’croyais qu’un garde-chasse ça vivait dans les bois, et toi t’habite dans l’bourg…

— On a obligation d’être à pas plus d’une demi-lieue du triage, et comme y a des bois tout autour, là, j’suis bien situé, hé hé ! Ça n’empêche qu’on a aussi des cabanes dans les bois qui nous servent, selon les saisons. On peut y passer deux ou trois jours. J'aime bien m'isoler là-bas...

J’écouterai bien encore des heures mon ancêtre, mais j’vais quand même essayer de remettre le sujet sur sa famille, ses parents, l'objet de ma visite…

« Tu m’as parlé d’tes deux femmes, et si j’comprends bien, finalement t’as pas d’descendance ?

— Ah, mais des femmes, en fait, j’en ai eu quat’. La première, Marie Brion, j’l’avais choisie celle-là ! J’avais la trentaine, elle un peu plus de vingt ans. On s’est d’abord accordaillé, pis vite ça été les épousailles, les seules vraies, en fait ! J’étais d’jà garde-chasse en titre et ça s’passait bien pour moi. J’avais fait ma place, l’curé et les seigneurs m’avaient à la bonne ! Ma vie, comme j’t’ai dit, c’est barouder dans les bois, surveiller l’gibier… Les chasses, pour ces messieurs d’la haute, c’est sacré ! Alors le garde-chasse, bah si fait pas l’malin, l’est assuré de bien vivre, si tu vois c’que j’veux dire…

— Pour sûr, j’vois bien ! Et avec ta première…

— J’y viens, on a eu un fils pas longtemps après l’mariage et on l’a appelé Jacques. Un beau gosse, bien costaud. La naissance l’a pas été facile et la Marie, malheureusement, a s’en est pas r'mise. Trois semaines plus tard, elle passait d’l’autre côté. Ah ça m’a fait un choc ! Mais bon, l’gamin allait bien… Alors, fallait bien que j’reprenne une femme sans tarder pour s’en occuper, hein ! J’ai trouvé Marie-Avoine Percheron, 24 ans, pt’être bien une cousine, dont les parents étaient d’jà morts d’puis queques’années. Finalement, on y retrouvait notre compte tous les deux. Deux mois à peine après le décès d’ma femme, j’me r’mariais. Mais finalement, on s’est bien entendus et elle a él’vé L’Louis qu’a bientôt été r’joint par d’aut’es mioches.…

— Comme ça la famille s’est agrandie…

— Oui, sept mouflets en 13 ans. L’aînée est morte à trois ans, mais les deux suivants, Marie-Louise et Louis m’ont fait 14 p’tits enfants. L’vin qu’tu bois, là, c’est Voxeur, l’mari à la Marie-Louise qui l’fait. S'est établi comme vigneron à Vernouillet. L’est pas mauvais, hein ! J’t’en r’mets un coup ?

— Pas d’refus. À la tienne !

L’Louis, mon aîné, lui aussi sa vie c’est la terre. L’est dev’nu laboureur. Et souvent, y m’accompagne dans les bois, on chasse un peu... J’risque pas d’me faire piquer, c’est moi l’garde-chasse, s’esclaffe-t-il, et les patrons, y ferment l’œil tant que l’boulot est bien fait. »

Sur ce, on r’trinque dans un éclat de rire de connivence.

« Après ces deux-là, ça s’est un peu moins bien passé… J’voulais un Guillaume, comme moi. Bein tu m’croiras si tu veux, on en a eu trois d’gars, en quatre ans ! Y sont morts, l’un après l’autre, et à chaque fois on r’baptisait l’suivant Guillaume. Un quatrième gars est né et là on s’est dit qu’il s’rait mieux d’changer d’prénom. C’est comme ça qu’y s’appelle Pierre ! 

— Et on a bien fait, l’Pierre, il a survécu et il a même bien réussi. L’es dev’nu l’garde général du Marquis de Guenet et l’a marié la veuve Renault, un bon parti.

— C’est qui, les « Guenet » dont tu m’parles ?

— Bah, le Seigneur de Louye et de Muzy, Alexandre de Guenet, pardi ! Où c’est qu’tu vis toi, pour pas les connaître !

— Mais bien sûr, j'suis rien bête…, enchaînant rapidement pour ne pas passer pour un imbécile, pourquoi t’as pas fini ta vie avec Marie-Avoine. Y en a bien eu une autre, si j'compte bien, non ?

— Pardi, parc’qu’elle est morte, puis après un court silence, comme pour passer à autre chose. Bon, c’est pas l’tout, mais on boit, on boit, on mangerait bien un morceau. Un quignon d’pain à tremper dans un reste de soupe avec un morceau d'lard, ça t’dit ?

— T’as raison, un peu d’solide ça va faire du bien, sinon j’vais avoir du mal à repartir, à c’rythme… Tu m’disais, tout à l’heure, que ton premier fils, tu l’as prénommé Jacques. D’habitude, pour le premier, on donne plutôt l’prénom du père. Pourquoi tu l’as pas app’lé Guillaume ?

Pour tout vous dire, amis lecteurs, de fortes présomptions m’amènent à penser que le père de Guillaume, notre garde-chasse (et donc mon sosa 2024, si vous suivez) serait un Jacques Lemaire, époux d’une certaine Françoise Laveste. Guillaume aurait-il prénommé son aîné Jacques en l’honneur de son père, peut-être va-t-il nous le confirmer…

« Bah, comme tu sais sûrement, c’est généralement pas les parents qui choisissent le prénom, mais c’est l’parrain qui l’impose, comme l'dit l'curé ! C’est donc son parrain Jullien Lemaire et sa marraine, Marie Lemaire qui l’ont prénommé Jacques, c’est pas compliqué. Mais pourquoi tu me demandais ça ?

— Oh, pour rien, je cherchais juste à savoir si tu ne l’avais pas prénommé ainsi en l’honneur de ton père.

— Hé bien non, perdu, c’est pas pour ça », me lance-t-il, sans pour autant me dire si son père se prénommait quand même Jacques. J'en oublie de lui redemander la précision et le doute persistera.

Il est temps, avant que ma limite de consommation, bien inférieure à la sienne, ne soit atteinte, voire dépassée, que je prenne congé…

« Merci pour l’accueil, Guillaume, et peut-être à une prochaine, si l’occasion se présente. J'ai bien aimé qu'tu m'racontes ta vie... et puis boire de bons coups avec toi. Pas la peine de lui rappeler que je suis son descendant, j’ai bien compris qu’il s’en fiche, et c’est vrai que c'est pas bien grave !

Quand tu veux, répond-il en s’esclaffant, même si t’as des questions bizarres, t’es pas bégueule ! Allez, à la r’voyure.

Cette fois-ci, Guillaume, 78 ans, ne reprendra pas femme. Pas d’officielle, en tout cas... Pourtant, il vivra encore huit belles années avant de mourir au début de l’année 1748, dans sa quatre-vingt-sixième année.

Une belle santé, non !



 
Le RDVAncestral

Le RDVAncestral est un projet qui mêle écriture et généalogie. Le principe est simple : partir pour une rencontre improbable d'un de ses aïeux, se transporter auprès de lui, à une époque et un lieu donnés. La publication des ces écrits est périodique, le troisième samedi de chaque mois.


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6 Comments

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Rencontre très vive, mais attention de ne pas trop enchaîner les "p'tits coups"... nous n'avons peut-être pas la même capacité à boire que nos ancêtres...

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Merci beaucoup Catherine et, promis, je boirai désormais avec modération... Tiens, au fait, c'est quoi son sosa à "modération" ? 😂

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Rated 5 out of 5 stars.

Quand je pense que des gens ne notre époque se lamentent en prétendant que c'était mieux avant !

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Hé oui, pas la même époque...

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Guest
Jul 20
Rated 5 out of 5 stars.

Quel régal de lecture ! Merci pour cet article enlevé !

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Merci beaucoup à vous ! Plaisir pour moi.

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