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Photo du rédacteurAlain THIREL-DAILLY

RDVAncestral : Günsthal, « La vallée de la faveur ».

Dans notre RDVAncestral de septembre (lire ou relire en cliquant ici), nous sommes allés à la rencontre de nos ancêtres à la 7e génération, Johann Friedrich Boh et Maria Barbara Arbogast qui baptisaient leur fille Maria Salomé. Nous étions le 26 décembre 1758, à Langelsoultzbach, dans le Bas-Rhin.

Par excès de précipitation, la rencontre, de ma faute, avait tourné court, ayant effrayé mes ancêtres plutôt que de les mettre en confiance ! Mais, heureusement, cette histoire de voyage dans le temps avait amusé le pasteur officiant. Celui-ci avait accepté de reparler avec mes ancêtres de notre souhait de leur rendre visite et de faire connaissance. Il a tenu parole et la rencontre devrait pouvoir avoir lieu au hameau de Günsthal dans la commune de Windstein.

Carte de Windstein et ses hameaux

La visite que je vais donc vous narrer a réellement eu lieu lors d’un séjour touristique et généalogique passionnant à la recherche des lieux de vie de ces ancêtres. Juin 2022, nous plantons notre camp de base à Niederbronn-les-Bains, distante de huit kilomètres de Windstein, où nous accédons par une route absolument somptueuse qui longe le domaine de Jaegerthal. C’est là que la dynastie des sidérurgistes de Dietrich a implanté, à l’époque de nos ancêtres, une forge dont il ne reste aujourd’hui que des ruines ; de belles ruines.

Ruines des forges Dietrich à Jaegerthal.

De Windstein, littéralement « le rocher du vent », nous devrions ensuite facilement trouver notre hameau ; enfin le pensons-nous ! Nous empruntons une étroite route bitumée qui laisse vite place à un simple chemin forestier plus adapté aux transports hippomobiles ou pédestres qu’automobiles… N’aurions-nous pas fait fausse route ? Nous continuons, mais le GPS, comme nous, reste sans voix… Montées et descentes s’enchaînent entre ornières et troncs d’arbres et nous pénétrons de plus en plus profond dans cette dense forêt. Pour notre bonheur, nous apercevons au loin une cavalière qui pourra peut-être nous aider. À défaut, nous rebrousserons chemin, à regret. La femme, une alerte septuagénaire, nous rassure du haut de sa monture : « Günsthal ? Vous n’êtes pas loin, revenez un peu sur vos pas, prenez le 1er chemin à droite… et vous serez dans la bonne direction… et surtout, présentez les amitiés de la petite Maureen [c’est elle] à Hugues et France [les actuels occupants de la ferme]. »

Après de longues minutes encore, nous touchons le Graal. Le hameau de Günsthal, la « Vallée de la faveur », tient son nom du ruisseau qui y coule, et la beauté de l’appellation n’a d’égale que celle de l’écrin que nous découvrons. D’un coup, nous nous retrouvons dans un lieu, certes habité, mais préservé au milieu d’une nature restée intacte, telle que nos aïeux l’ont connue. Nous venons de faire un bond de trois siècles en arrière.

Hameau de Günsthal

Les occupants actuels des lieux sont en pleine préparation d’un festival de « théâtre forestier », mais ils prennent quand même du temps pour nous accueillir. Hugues et France Sittprop retracent l’occupation de la ferme, au 19e siècle, par des « Amish », une communauté religieuse issue principalement des anabaptistes suisses. La ferme a été exploitée jusqu’à la fin des années 1970, avant que nos hôtes ne l’acquièrent quand les fermiers ont cessé leur activité. Le lieu continue ainsi, heureusement, de vivre alors qu’il était certainement voué à disparaître à jamais.

Le fil n’a pas été rompu : « Sculpteurs-plasticiens, défricheurs associés, iconoclastes atypiques et fastes des forêts outre-alsaciennes, vaquant avec les elfes, les sangliers et une mule tout en œuvrant délibérément pour les grandes cités et les espaces d’architecture urbaine. France et Hugues Siptrott cherchent, souvent hors des sentiers battus, à concilier des extrêmes dans une dynamique nouvelle. Ils prônent l’alliance de l’humanité et de la modernité, non le clivage sectorisé ; la complémentarité nature/culture, non I’opposition annihilante et l’assujettissement. »

Grâce à eux, le lieu a été préservé tel qu’à l’époque de nos ancêtres. Mis à part le minimum de confort intérieur apporté par les occupants, les murs où vécurent mes aïeux, les terres qu’ils cultivaient, la végétation et la forêt qui les entouraient, rien n’a bougé ! Aujourd’hui encore, aucune route aménagée n’a été percée pour rejoindre Günsthal où l’on ne vient pas par hasard. Puisse cela être préservé !

Nous laissons nos hôtes à leurs préparatifs qui nous donnent carte blanche pour découvrir le lieu. 

Une des trois maisons est dédiée à l’habitation des artistes, et les deux autres à leur activité artistique. Le lieu est littéralement « habité » de sculptures monumentales, de céramiques et de toiles de leur création.

Oeuvres des Sittprop

La grange à foin, dont la mémoire a été préservée, accueille la scène du « théâtre de Günsthal » pour des représentations en intérieur les saisons moins clémentes.

La grange à foin de Günsthal

À côté de leur travail artistique, les Sitprott qui vivent, à l’instar de nos ancêtres, de manière aussi autonome que possible, cultivent le jardin, entretiennent les prairies où paissent des chevaux, un bovin et des ovins.

Nous empruntons un chemin pour prendre un peu de hauteur et découvrir le lieu d’un autre point de vue. Qu’elle n’est pas notre surprise quand nous apercevons, tapis dans les branchages, ceux qui semblent bien être nos aïeux.

Sculptures Sittprop.

Le pasteur les a bien préparés et Johann Friedrich, son frère Johann Georg, leurs épouses et enfants, ne sont finalement pas étonnés quand ils nous aperçoivent. Je pense même qu’ils attendaient notre arrivée. De là où ils sont, ils scrutent, sans être vus, l’activité étonnante qui se prépare sur le prè, où la compagnie Le Théâtre du Matamore répète le Platonov qu’ils vont donner dans deux jours.

La Compagnie du Matamore répète...

Ce rendez-vous ancestral est à la fois étonnant et riche ; si nous avons fait le voyage en arrière dans le temps, nos ancêtres, eux, font le voyage inverse, pouvant ainsi observer ce qui se passe sur leurs terres près de trois siècles après eux !

Sculptures Sittprop

Johann Friedrich Boh, notre ancêtre, après quelques mots d’accueil, nous invite à nous asseoir dans l’herbe. Il nous raconte alors comment, au début du 18e siècle, ses parents, des protestants originaires de Schönau, bourgade à peine distante de quatre lieues de l’autre côté de la frontière, dans le Palatinat allemand, sont venus s’installer à Günsthal. Son père, Johann Philip, aidé de son épouse, Anna Maria Arbogast, exploite alors la ferme. Johann Philip, censier titulaire d’un bail emphytéotique, loue à son seigneur, le seigneur de Durckheim en l’occurrence, les terres qu’il exploite. Les parents Boh sont aujourd’hui décédés et c’est l’aîné des garçons, mon ancêtre à la 7e génération, Johann Freidrich, qui nous accueille. Il a repris le bail et le transmettra, un jour, à un de ses fils… Si, toutefois, le Seigneur ne le rompt pas unilatéralement ! Les filles, elles, seront mariées au fils d’un censier voisin, de Sultzthal, ferme la plus proche par exemple, ou à un bourgeois de Niederbronn ou de Langensoultzbach, selon le bon vouloir et surtout les intérêts patrimoniaux de leurs familles. Les moins bien loties resteront à la ferme pour s’occuper de la maison, des enfants en bas-âge et des parents vieillissants.

Notre ancêtre est aidé de son benjamin, Johann Georg, et de leurs épouses pour faire vivre la communauté. Les trois maisons abritent entre 15 et 20 personnes, suffisamment de monde pour assurer les travaux agricoles, pas trop pour limiter le nombre de bouches à nourrir ; la vie est rude. Pas d’école pour les enfants qui, très jeunes, apportent leur contribution aux travaux de la ferme. La communauté vit ici dans une forme d’autosuffisance, et se rend seulement aux marchés les plus proches pour écouler les produits de la récolte et acheter les biens essentiels qu’ils ne peuvent produire eux-mêmes. C’est sur la place du marché aussi que se contractent les futurs mariages. Pour s’y rendre, un seul chemin muletier interminable, qui existe toujours. Le chemin forestier qui nous a semblé difficile pour venir ici n’existait pas et fait aujourd’hui figure d’autoroute, rapporté à celui emprunté par mes aïeux, dont j’ai franchi seulement les premiers mètres.

Johann Freidrich et son épouse, Maria Eva Berthold, sont entourés de leurs quatre enfants qui s’égayent dans les près. Les deux aînées, Ève et Maria Barbara, 10 et 8 ans, se marieront avec des bourgeois de Niederbronn-les-Bains. Maria Margaratha, 4 ans, décèdera trois ans après notre passage et la benjamine, Maria Salomé, notre ancêtre à la 6e génération, épousera Georg Jacob Greiner, un cordier de Bouxwiller. Le couple n’ayant pas eu de garçons, c’est un de leurs neveux qui prendra la suite de la ferme.

Nous prenons congés et remercions vivement nos hôtes. Cette fois-ci, la rencontre a pu avoir lieu et la magie du RDVAncestral a encore joué. 

Nous nous dépêchons pour ne pas rater la générale de la pièce de théâtre à laquelle nous sommes invités. Celle-ci débute à 18 heures pétantes, avec le soleil couchant pour tout éclairage. Un simple plateau, au milieu de la prairie, près d’un petit plan d’eau et la majestuosité de la nature comme décor naturel.

Compagnie du Matamore

Nous en sommes, avec mon épouse, les seuls spectateurs. Enfin, presque… puisque Johann Friedrich, son frère Johan Georg et un ouvrier de la ferme, intrigués par toute cette agitation, se sont postés derrière nous.

Nos ancêtres les BOH

Nous échangeons un léger signe de connivence avant qu'à la fin du spectacle, ils ne repartent, aussi discrètement qu’ils sont venus, rejoindre leurs familles pour profiter de cette fin de soirée de solstice.



 
Le RDVAncestral

Le RDVAncestral est un projet qui mêle écriture et généalogie. Le principe est simple : partir pour une rencontre improbable d'un de ses aïeux, se transporter auprès de lui, à une époque et un lieu donnés. La publication des ces écrits est périodique, le troisième samedi de chaque mois.


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12 Comments

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Guest
Oct 20

Géniale, cette rencontre à cheval sur trois siècles ! Quelle émotion certainement à découvrir des lieux ancestraux ainsi préservés et si bien habités ! Et bravo pour cet article !...

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Grand merci à vous !

Cette découverte a été pour nous superbe et émouvante.

Un lieu remarquable !

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Rated 5 out of 5 stars.

Ce fut un plaisir de refaire une nouvelle fois ce voyage en ces lieux magiques.

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... et pour cause 😉

Merci

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Guest
Oct 20

Quelle plongée dans le passé ! Rare. Merci pour ce récit.

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Merci pour ce message et votre intérêt. Alain

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Magnifique hameau de Günsthal, qui semble suspendu dans le temps, véritable trait d'union entre les époques.

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Catherine, en effet, que ce hameau hors du temps nous a ravi et ému. Des lieux préservés comme ça, il en reste certainement pas beaucoup et l'avoir trouvé est exceptionnel ! Merci pour votre intérêt.

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Rated 5 out of 5 stars.

Bravo pour ce très bel article, j'adore les photos qui agrémentent le texte, surtout la dernière

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Merci beaucoup, le lieu est tellement beau qu'il méritait que j'y fasse quelques photos 😉

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