Nous sommes le 26 décembre 1758 et, avec mon épouse, nous nous « invitons » à Langensoultzbach, au baptême protestant de mon ancêtre à la 5e génération, Maria Salomé BOH.
L’acte de baptême peut être ainsi traduit et transcrit : « Le 22.12.1758 à 8 h du soir, est née de l’union légitime entre Johann Friedrich BOH, censier au Guenstel et son épouse, Maria Barbara née ARBOGAST, une fillette qui a été baptisée ici le jour suivant, 26 de ce mois, et prénommée Maria Salomé. Les parrains et marraines furent : 1. Johann Michael GERHARD, 2. Johann Georg GERHARD, tous deux scieurs à la scierie du Wineckerthal, 3. Maria Margaretha née BECK, épouse de Georg Friedrich STEPP, censier au Windstein, 4. Maria Salome née HANAUER, épouse de Heinrich ARBOGAST, bourgeois et forgeron à Niederbronn. »
Si, avec mon épouse, nous connaissons l’Alsace en été, nous ne nous y sommes jamais rendus en hiver, ne fut-ce même que pour un traditionnel « marché de Noël ». L’occasion est bonne pour combler cette lacune.
Arrivés à Langensoultzbach, nous nous dirigeons, bien emmitouflés, vers l’église protestante, au centre du village. Celle-ci, manifestement, est de construction relativement récente. Mais selon nos sources, elle a été érigée à la place de celle dans laquelle notre ancêtre a été baptisée.
Nous en franchissons le seuil et, comme par magie, nous retrouvons transportés dans l’ancien lieu de culte où commence tout juste la cérémonie du baptême. Nous nous installons au dernier rang, nous faisant le plus discrets possible.
Dans les Églises réformée et luthérienne, on baptise les enfants dès leur plus jeune âge, contrairement à l’Église baptiste où la foi du croyant est le préalable indispensable au sacrement et où celui-ci ne peut être donné qu’à l’âge adulte. Ce rite d’entrée et d’accueil dans la vie et dans la communauté ecclésiale est ici célébré par un ministre ordonné, un pasteur, mais il aurait pu l’être par un laïc autorisé. Le parrain et la marraine, ou plus exactement les parrains et les marraines, puisqu’en cette occasion ils sont quatre, portent l’enfant qui se voit baptisé par aspersion d’eau bénite par l’officiant.
À la fin de la cérémonie, le pasteur vient se poster sur le parvis où il salue, une à une en les nommant par leur prénom, l’ensemble de ses ouailles. Si notre présence le surprend et attire son regard – il ne nous connait pas –, il n’en est pas moins chaleureux à notre égard.
« Bonjour, il ne me semble pas vous connaître, mais soyez les bienvenus dans notre paroisse. Cette maison est la vôtre. »
Nous déclinons nos prénoms et lui expliquons brièvement notre voyage dans le temps. Plus que de le surprendre, notre initiative semble éveiller sa curiosité. Aussi, sans plus de questions, il nous présente aux parents de la nouvelle baptisée.
« Johann et Maria, je vous présente, euh, comment dire… des membres de votre famille, Alain et son épouse Marie qui vous expliqueront. Prenez un temps pour faire connaissance, lâche le pasteur qui nous plante là pour se consacrer à d’autres paroissiens.
Johann et Maria marquent un temps d’arrêt, bien compréhensible, et nous saluent l’un et l’autre certes civilement, mais avec une distance certaine. Je me sens obligé d’enchaîner pour combler le vide…
« Nous ne voudrions pas vous déranger, vous devez vous consacrer à vos invités, à votre belle petite fille et à vos autres enfants… Peut-être pourrions-nous vous rendre visite, à la cense, dans quelques jours pour faire plus ample connaissance…
- Monsieur, avant d’en arriver là, peut-être pourriez-vous vous présenter et expliquer les raisons de votre présence à cette cérémonie religieuse…
Tout à mon impatience de cette nouvelle rencontre, j’ai manifestement grillé les étapes et ainsi renforcé la légitime méfiance de Maria, et surtout de Johann, à notre égard. Imaginez vous interpellés à l’impromptu par des individus bizarrement vêtus, qui ne font pas l’effort de parler votre langue et qui se présentent comme étant vos descendants ! Ne seriez-vous pas pour le moins incrédule et sur la défensive en pareille situation ?
Comment m’expliquer, maintenant, sans entrer dans des détails scabreux, tout en apportant suffisamment d’éclaircissements quand même. L’exercice est difficile…
« Nous ne vivons pas dans votre belle région, mais nous y avons des origines. Certains de nos ancêtres semblent même avoir porté les patronymes de BOH et ARBOGAST, les vôtres, je crois…
– En effet, je suis de la lignée des « BOH » et mon épouse de celle des « ARBOGAST ». Mais ces noms sont répandus par ici et cela ne prouve rien…
– Vous avez tout à fait raison. Nous n’émettions là qu’une hypothèse et il nous a semblé que le mieux était de venir en parler franchement avec vous. Mais restons-en là, sur cette question…
Intérieurement, il me semble en effet, à ce stade, préférable de laisser du temps au temps.
Maladroitement j'improvise : « C’était une belle cérémonie, n’est-ce pas, et votre petite fille est déjà si éveillée...
- Merci beaucoup pour ces compliments, répond gentiment Maria, la mère de l’enfant, qui semble se détendre un peu.
Je profite alors de cette petite évolution positive pour nous éclipser sans omettre de laisser une porte entre-ouverte…
« Nous vous avons déjà bien trop dérangés et vous devez avoir encore beaucoup à faire. Peut-être, un jour, pourrons-nous faire plus ample connaissance…
Nous prenons congé et retournons saluer le Pasteur avant de repartir.
« Alors, s’exclame le pasteur nous voyant revenir vers lui, vous avez fait connaissance ?
– À vrai dire, nous nous y sommes sûrement mal pris, j'en ai conscience, et le contact ne s’est pas aussi facilement établi que je ne l’avais imaginé…
– Je m’en doutais un peu, mais je vous ai laissé faire, en connaissance de cause, glisse-t-il amusé. Votre histoire de voyage dans le temps à la rencontre d’ancêtres, pour moi qui n’y suis pas impliqué, attise ma curiosité. Mais pour Johann et Maria, directement concernés, l’interpellation est brutale et pour le moins inattendue… Et puis, vous savez, l’alsacien ne se livre pas aussi facilement, il faut se faire connaitre, reconnaitre et donner des garanties pour établir un début communication. La confiance se gagne avec le temps… Je vous ai laissé tenter votre chance.
– J'apprends de chaque expérience, mais j'ai encore beaucoup de progrès à faire pour calmer mes ardeurs. Mais je suis certainement incorrigible, et votre ouverture d’esprit m’incite à vous parler librement, je peux ?
– Faites, bien sûr…
– Deux choses, alors. La première, nous sommes certains que Johann et Maria sont bien nos ancêtres, et ce, grâce à vous, ministre du culte, et à ceux qui vous ont succédé pour tenir rigoureusement ce que, maintenant, après les registres paroissiaux, nous appelons l’État civil. La seconde, et ça ne vous a pas échappé, j’en suis sûr, ce RDVAncestral n’est qu’un prétexte, un exercice de l’esprit pour tenter de mieux connaître nos ancêtres, nos racines. Tout cela n’a bien évidemment aucune réalité matérielle...
– Quant à votre première remarque, je suis satisfait de voir que notre minutieux travail d'écriture et d'archivage a été poursuivi et utile. À l'occasion, j'aimerais bien que vous m'en reparliez... Quant à la seconde, c’est bien ainsi que je l’avais compris, et c’est même ce qui a éveillé ma curiosité ! Pour tout dire, j'aimerais pouvoir lire la publication qui sortira de notre rencontre... virtuelle.
– Avec plaisir. Néanmoins, comme je n’aime pas rester sur un échec, pourriez-vous, à l'occasion, reparler de tout cela avec Johann et Maria ; avec la confiance qu’ils ont en vous et avec vos mots, ils comprendront sûrement mieux… Peut-être pourrons-nous alors, lors d’un prochain séjour alsacien, leur rendre visite et tenter de gagner leur confiance…
– Vous m’amusez beaucoup et votre ténacité me plaît bien. Promis, j’en reparlerai avec eux et, avant de revenir, faites-moi signe que je les prépare à l’idée…
Le RDVAncestral
Le RDVAncestral est un projet qui mêle écriture et généalogie. Le principe est simple : partir pour une rencontre improbable d'un de ses aïeux, se transporter auprès de lui, à une époque et un lieu donnés. La publication des ces écrits est périodique, le troisième samedi de chaque mois.
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Il est toujours délicat de rencontrer nos ancêtres en direct. Peu à peu la confiance s’installe. Ce Rendez-Vous Ancestral est très réussi !
Un #RDVAncestral super bien ficelé ! J'adore l'idée d'avoir trouvé un complice en la personne du pasteur.
Je pensais, comme toi, que l'on ne parlait que de temples. J'ai trouvé cet article qui éclaire la question : le simultaneum
Je pensais, comme toi, que l'on ne parlait que de temples. J'ai trouvé cet article qui éclaire la question : le simultaneum