Si l’année 1900 a été celle des « Jeux de la IIème olympiade des Jeux olympiques modernes », appellation officielle, force est de constater que ceux-ci n’ont pas laissé trace dans l’histoire sportive, et même dans la mémoire parisienne tout court. Il faut dire que, la même année, du 14 mai au 28 octobre, se déroulait l’Exposition universelle de Paris. Et, à n’en pas douter, celle-ci, malgré le compromis passé entre les organisateurs des deux événements, a étouffé les jeux, comme le relate Pierre de Coubertin dans ses mémoires : « Des résultats intéressants, mais n'ayant rien d'olympique, furent notés » et citant un de ses collègues du CIO à propos de l’accord passé : « On [ l’Exposition universelle ] a utilisé notre œuvre en la mettant en charpie. »
L’Exposition universelle fut, elle, une réussite à côté de laquelle mon aïeul, Armand Klein,n’a pas pu passer. Il avait sûrement encore en mémoire celle de 1889 sur le thème du centenaire de la révolution française et qui avait fait polémique (déjà). Les monarchies avaient en effet peu goûté cette célébration de la révolution et l’expo avait été boycottée par l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Russie et la Suède. Pas moins !
Ces grands événements, de tout temps, ont suscité la controverse. Cette exposition n’a pas échappé aux scandales financiers et aux grèves, mais, au final, ce sont plus de 50 millions de visiteurs qui y ont été accueillis. L'événement a été l'occasion de constructions importantes pour Paris, et les grèves ont permis des avancées sociales. Certainement Armand Klein et son épouse, Élisa, ont-ils fait le tour des gares, toutes réaménagées, et de celle d’Orsay, ouverte pour l’occasion. J’imagine leur ébahissement, après celui suscité par l'érection de la Tour Eiffel en 1889, à la découverte des Petit et Grand Palais, témoignages de la trop courte période de l’Art nouveau. Ces monuments, entre autres, font aujourd’hui encore Paris.
Armand, en bon parrain, et son épouse ont invité leur filleule, Emma Martin, à venir profiter de cette belle fête parisienne à la fin de l’été. Celle-ci a posé deux jours deux congés de fin de semaine le 1er et le 2 septembre et a logé chez les Klein, rive gauche. Sans aucun doute Armand et Élisa lui ont-ils fait visiter les différents pavillons d’exposition. Ils ont eu la chance, la grève des cochers de fiacre parisiens s’étant terminée la veille, de ne pas avoir à se déplacer à pied entre les différents sites. Ils ont également emprunté la première ligne de métro parisien inaugurée quelques semaines plus tôt, dans un sentiment mêlé de crainte et de fascination face à la nouveauté, comme nombre de Parisiens.
Dans un courrier de remerciements à son parrain et à sa marraine, à son retour à Dreux, Emma témoigne de ces journées : « Malgré un peu de fatigue, je n’ai pu dormir, je pensais à vous, au bon accueil que vous nous avez fait. Sachez que vous avez une petite filleule qui vous aime bien et qui vous désire en bonne santé ». Sans doute, Emma était accompagnée de son fiancé, Edouard Dageon, au bénéfice d’une permission au cours de son service militaire. Le retour en train s’est bien passé et en arrivant en gare de Dreux, raconte Emma « Maman était à nous attendre avec Madame Dageon [ sa future belle-mère ]. Je ne suis pas allée aux Buissons [ où résident ses parents], j’ai couché à Dreux, j’étais arrivée pour reprendre mon travail et j’ai dormi un peu plus. » Emma en profite pour inviter les Klein : « Maintenant, je désire qu’il fasse beau temps pour vous revoir et je vous attends samedi 15 septembre. Tâchez de venir, il fera beau temps, je le veux, maman sera bien contente de vous revoir et nous aussi. »
Au-delà de ces témoignages factuels, j'ai encore en mémoire ma grand-mère Emma racontant ses souvenirs de cette exposition universelle; elle avait 21 ans.
En octobre de l’année suivante, Emma et son futur époux, publient les bans quand ce dernier est libéré de ses obligations militaires. La future demande alors à son parrain d’être le témoin de son mariage. La cérémonie a lieu le samedi 26 octobre 1901, à Dreux, et Armand, qui a bien entendu accédé à la demande de sa filleule, est présent avec son épouse, honorant ainsi l’amitié sincère et fidèle qui les lie aux Martin.
La vie continue pour les Klein à Paris, et les engagements d’Armand se prolongent. En 1901, il devient administrateur de la société des vétérans, en 1902 administrateur de la Mutualité scolaire. Mieux qu’un long discours, ce document manuscrit de sa main, témoigne des différentes fonctions qu’il a assumées.
Emma Martin épouse Dageon, un an après son mariage, attend un heureux événement. C'est le père qui annonce aux Klein la naissance, le 16 avril 1903, du petit Louis : « Je m'empresse de vous faire part que nous avons un gros garçon de jeudi soir à 9h, et que nous sommes tous bien contents ainsi que toute la famille et que la mère et le fils se portent bien. Je vous dirai qu'Emma l'a appelé Louis en souvenir de son parrain. J'espère que cela vous fera plaisir ». Il invite les Klein à faire le voyage de Dreux pour voir le bébé et passer quelques jours avec eux et leur présentent les amitiés des familles Dageon et Martin : « Mes parents et ceux d'Emma vous disent bien des choses en attendant de vos nouvelles. À bientôt. »
En 1905, Armand, délégué cantonal depuis 1897, administrateur de la Mutualité scolaire depuis 1902 est promu Officier dans l’ordre des Palmes Académiques au titre du Ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-arts. L’époque est aux décorations et aux grands banquets. Ceux du président de la République Émile Loubet sont restés dans les annales. Armand Klein, le 5 novembre, est un des 50.000 participants (sic) au déjeuner de la Fête de la Mutualité. Cette Fête de la Mutualité est honorée de la présence effective du Président Loubet, ce qui était bien le moins, lui qui venait de présider durant 7 ans cette belle institution. Le banquet, offert par « Le Matin » est d’une sobriété rare, comme vous pourrez en juger sur le document programme ci-dessous. Mais il fallait sans doute bien cela aux participants pour tenir, entre les nombreux discours et les défilés de délégation. Heureusement un programme musical, avec les musiques militaires, ça va de soi, mais aussi les chorales et orphéons, le tout placé sous la Présidence d'Honneur de M. Camille Saint-Saëns, est agréablement venu ponctuer cette longue et belle journée.
Chez les Klein, la fidélité en amitié semble une valeur fondamentale. Bien qu’avançant en âge, le couple reçoit amis et famille et entretient des relations épistolaires dont la trace est parvenue jusqu’à nous.
Ils continuent, par exemple, d'avoir des attentions pour l’ancien apprenti brocheur venu de la Vienne à Paris, Évariste Boulineau, qu’ils ont logé, formé, et dont Armand a été le témoin de mariage. Celui-ci est maintenant établi comme brocheur-relieur. Les couples restent proches, comme en témoigne un courrier de remerciement de l’épouse d’Évariste : « La frange de perles est très jolie et va très bien avec la suspension quand la lampe est allumée, l'effet est ravissant, vous pourrez en juger lorsque vous viendrez nous voir ». Les Klein sont même devenus amis avec les parents d’Évariste, hôteliers à Châtellerault, à qui ils rendent visite lors de journées de printemps. Nous avons d'ailleurs pu transmettre à des descendants Boulineau, trouvés par les réseaux généalogiques, deux portraits des parents d’Évariste qu’Armand leur avait offert lors d’un séjour à Châtellerault. Les descendants ont ainsi pu mettre un visage sur des ancêtres proches dont ils n'avaient pas de photos.
Souvent, des employés de Monniot & Klein, les sollicitent pour les parrainer à l’occasion d’un mariage ou d’une naissance, comme Charlotte Gosselin, une des brocheuses de l’entreprise. Celle-ci, née de père inconnu, a sollicité ses patrons, Eugène Monniot et Armand Klein pour être ses témoins de mariage. Les liens continueront entre le nouveau couple et les Klein.
Avec la famille d’Élisa, seule vraie famille pour Armand, les relations sont aussi étroites, même lorsque la distance sépare les uns des autres. Nous trouvons dans ces courriers, d’apparence anodins, des témoignages de la vie des uns et des autres et, notamment, sur la santé du couple Klein. Leurs échanges épistolaires avec Marie Thomire, épouse Zell, leur cousine germaine, sont réguliers et nombreux. C'est au bénéfice d'un de ces courriers que nous apprenons que la santé d’Élisa est fragile, même si celle-ci continue de travailler. Armand, lui, est de constitution plus robuste et rien ne semble devoir l’arrêter.
Témoin de mariage d’Adèle Zell, cousine germaine de son épouse, en 1873, Armand et son épouse, de la même génération que les mariés, sont restés en lien étroit avec eux depuis toutes ces années. Les Klein ont depuis pris « sous leurs ailes » la fille d’Adèle, Marie Grimoult, qu’ils ont formée puis embauchée comme brocheuse. Lorsque celle-ci se mariera, avec Henri Huwinska, les Klein seront auprès d’elle et c’est maintenant le jeune couple qu’ils soutiennent.
Les relations sont aussi serrées avec leur cousin André Burille, à peine plus jeune qu’eux. Celui-ci est parti tenter l’aventure, dans les métiers du livre, à Buenos-Aires. Les deux hommes sont même « en affaire » comme en témoignent les courriers en notre possession et l’apparition d’André dans le livre de comptes d’Armand.
Les Klein, maintenant, prennent aussi du temps pour eux. Ainsi, depuis le début des années 1900, au mois d’août, ils se rendent à Boulogne-sur-Mer, où ils ont leurs habitudes, pour profiter du bon air marin ; Élisa semble en effet fragile du côté pulmonaire. Il n’est pas rare, même au cours de l’année, qu’ils profitent des bienfaits du développement du réseau ferroviaire pour rendre visite aux amis de province. Chez les Klein, la mobilité semble de rigueur et ils ont bien raison d’en profiter, l’âge avançant et leurs affaires continuant de bien fonctionner.
Le Récit-de-vie
Il s'agit, dans un article unique, ou bien dans une suite d'articles, de raconter en la contextualisant, la vie d'un ancêtre, d'un collatéral, d'une famille, voire même d'un village ou d'une paroisse.
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