Emma et Armand, depuis janvier 1916, sont les heureux parents d’une petite Louise. Lire ou relire l'épisode précédent en cliquant ici. Nous sommes en période de guerre, et le couple est resté au hameau des Bas-Buissons, à Dreux (28), pour soutenir Élisa Martin, la mère d’Emma, veuve, qui tient un petit commerce d’épicerie-café.
Émile Martin, le jeune frère d’Emma, a été blessé l’an passé au 101e régiment d’infanterie où il servait. Après un séjour à l’hôpital militaire de Vichy, il a été placé en sursis au titre des Tréfileries du Havre en janvier de cette année. Il donne de ses nouvelles et s’inquiète de sa famille, de son épouse Palmyre et de son frère Marcel, qui a besoin de chaussures, dit-il. Il charge Emma et Armand de quelques missions et de faire passer les nouvelles. Marcel, le frère aîné, qui a participé à la campagne contre l’Allemagne, en 1914 puis en 1915, a été renvoyé dans ses foyers. Pourtant, depuis février, il a été rappelé au 30e régiment d’infanterie puis au 29e régiment territorial. C’est ainsi que, durant ces années de guerre, le couple Klein se consacre au soutien de leur mère et belle-mère.
Courrier à Alfred Monniot 19180128
L’hiver 1917 a été rude. Armand se plaint de quelques maux et donne des nouvelles de leur fille Louise, dans un courrier à son successeur Alfred Monniot : « Avec le temps qu'il a fait cet hiver, j'ai eu des engelures aux mains et des crevasses à toutes les jointures qui, ma foi, m'ont fait souffrir énormément, surtout pour traverser la plaine tous les matins. Enfin, cela va un peu mieux, ça commence à sécher. » C’est en effet Armand qui fait le chemin du hameau des Buissons à Dreux tous les jours pour le ravitaillement. Il poursuit : « À part ça, nous nous portons bien avec Emma et Louise continue à grandir. Elle est de plus en plus gentille. Elle va avoir deux ans après-demain, elle chante, elle danse, elle est joueuse et ne demanderait qu'à sortir. Mais avec l'hiver que l'on a, c’est guère possible. Mais hier et cet après-midi nous avons eu un beau temps, après quatre jours de brouillard et de gelées toutes les nuits. Elle est allée à l'herbe avec Emma, elle était heureuse. »
Quelle mine que ces courriers pour connaitre des détails de nos ancêtres et, en l’occurrence, de celle de ma mère encore toute petite-fille.
Il se réjouit que les enfants Monniot puissent poursuivre leurs études et donne des nouvelles du fils du premier mariage d’Emma, qui a maintenant 14 ans : « Louis, le fils à Emma va toujours bien, il grandit et se fait bien. Il travaille toujours dans la menuiserie. Il vous souhaite le bonjour. »
Armand forme également des vœux pour la fin de la guerre et parle de la situation du pays : « Quant à la guerre, j’ai confiance : ça va finir cette année, peut-être dans quelques mois, comme je l’espère. » La situation économique l’inquiète, surtout pour son successeur qui lui dit que les affaires sont difficiles : « Pour le travail, nous en avons un peu, mais pas de personnel, ils ont la frousse et sont partis, alors on s'arrange pour le mieux. » Ce à quoi Armand lui répond : « Pour le travail, c'est bien ennuyeux comme vous dites, c'est les usines qui les attirent par le gain. » Heureusement, pourtant, Alfred Monniot continue d’honorer chaque mois le règlement de son rachat des parts d’Armand dans la société qu’ils géraient tous deux.
Armand lui annonce une prochaine visite : « Nous profiterons du beau temps et des fêtes de la Pentecôte pour venir à Paris avec notre petite Louise. Nous irons vous voir dimanche dans la matinée. » La vie continue.
Suite à l’Armistice, en novembre 1918, la vie commence à reprendre. Les frères d’Emma sont revenus et les quatre enfants se partagent, maintenant, le soutien à leur mère, et soulagent un peu Emma et son époux dans cette charge. Élisa Martin reste encore quelque temps, tant qu’elle le peut, dans son commerce des Buissons. Armand, Emma et leur fille Louise emménagent enfin, comme ils l’avaient imaginé avant le mariage, au 49 rue du Val Gelé, devenue rue du Bois Sabot, à Dreux. Ils occupent une maison en face du 28 où réside encore la belle-mère d’Emma, de son premier mariage, Marie Pasdeloup, veuve depuis peu.
Le couple restera finalement peu de temps seul avec leur fille. En effet, la santé d’Élisa décline et celle-ci est obligée de quitter son commerce des Buissons. C’est à nouveau Emma qui va devoir s’occuper d’elle ; la grand-mère emménage avec le couple. Emma, qui a repris son travail de typographe après la fin du conflit, doit s’occuper, outre de sa fille et de son fils (5 et 14 ans), de son époux, de sa mère et de sa belle-mère, respectivement âgés de 73, 66 et 65 ans. Les journées et les semaines sont longues et chargées. Ce faisant, elle se conforme à l’éducation qu’elle a reçue et, surtout, tient la promesse d’assistance qu’elle a faite à son parrain avant que celui-ci ne devienne son époux.
Même si Armand vieillit, le couple continue d’aller de temps en temps à Paris. Ils font découvrir la capitale à leur fille qui, plus tard, témoignera de « la belle vie » qu’elle a partagée avec son père et sa mère à Paris. Ces sorties sont aussi l’occasion d’une séance de pose chez un des photographes attitrés de son père.
Dans son souvenir d’enfant, ces instants magiques resteront gravés. Comme toutes les petites filles, Louise aime les poupées et c’est aussi certainement à l’occasion d’un de ces séjours parisiens que ses parents lui offrent une superbe poupée qu’elle conservera toute sa vie.
Les derniers liens familiaux, du côté de la première épouse d’Armand, s’éteignent avec le décès de sa cousine Marie Zell. Par contre, les frères et sœurs d’Emma ont intégré Armand, l’ami de jeunesse de leur père qu’ils connaissent depuis qu’ils sont enfants, comme leur frère, comme ils disent, comme le patriarche. Les mariages et autres fêtes rituelles sont l’occasion de réunir la famille. Deux mariages sont ainsi célébrés en 1921, celui du neveu d’Emma, André Bruyère avec Yvonne Grandon à Champigny-la-Futelaye dans l’Eure et celui de sa nièce Germaine Martin avec Albert Huet, à Dreux. Les Klein ne ratent pas ces occasions de festoyer.
La mère d’Emma décède 3 ans plus tard, en août 1924, peu de temps après avoir eu le plaisir d’être arrière-grand-mère. Louise, qui a maintenant 8 ans, a pu connaître et partager des moments avec sa grand-mère, dont elle gardera le souvenir et dont elle parlera, devenue adulte.
Le couple assiste, en 1925, au second mariage de la nièce Germaine Martin, dont le premier époux vient de décéder trois ans après leur mariage. Cette fois-ci, Germaine épouse Jean Esculier, à Anet, pas loin de Dreux. Les Klein sont toujours des noces.
Emma travaille toujours à l’Imprimerie Olard à Dreux et sa fille Louise continue de bien grandir. Elle va bien sûr à l’école où elle prépare le certificat d’études primaires. L’éducation religieuse est aussi quelque chose qui compte encore beaucoup. Louise, après sa première communion, doit faire sa confirmation, en juin 1927, avant sa communion solennelle en août de la même année. Elle nous racontait, quand j’étais enfant, que pour sa confirmation, étant malade, l’évêque était venu lui donner ce sacrement au domicile de ses parents.
Louise obtient son certificat d’études et vient l’heure du travail. C’est en 1929, âgée de 13 ans, qu’elle embauche aux Imprimeries Lefebvre-Marnay, au 9 grande rue à Dreux, comme apprentie typographe. Cette entreprise, qui deviendra plus tard l’Imprimerie Moderne, sera le seul employeur de sa carrière. Emma et son époux Armand ont conduit leur fille sur leurs traces, dans la grande famille des métiers du livre, pour leur plus grande fierté.
Si Louise, dans notre mémoire, a peu parlé de souvenirs concrets de son enfance avec son père, si ce n’est des séjours parisiens qui l’ont marquée, ce que l’on sait, c’est qu’elle lui vouait manifestement une grande admiration dont elle ne se départira jamais.
Armand, dans les derniers moments de sa vie, a brutalement décliné quand, début 1930, dans sa 83e année, il décède à son domicile ; Emma a 49 ans et Louise vient d’en avoir 14. Armand, décédé le 9 février, est inhumé trois jours plus tard, après un service religieux à l’Église Saint-Pierre, au cimetière de Billy, dans le caveau familial, avec le père d’Emma et son premier mari.
Emma coulera de vieux jours jusqu’en 1972, année au cours de laquelle elle décèdera, dans sa 93e année. Nous consacrerons, ultérieurement, un « récit de vie » au plus de quarante belles années qu’il reste à vivre à Emma, ma grand-mère.
Le Récit-de-vie
Il s'agit, dans un article unique, ou bien dans une suite d'articles, de raconter en la contextualisant, la vie d'un ancêtre, d'un collatéral, d'une famille, voire même d'un village ou d'une paroisse.
Devenez membre du site, pour suivre les "Récit-de-vie".
Vous pourrez ainsi commentez et échanger avec les autres membres du site... et encourager l'auteur de ce site
En quelques clics, en haut de toutes les pages du site, suivre les instructions :
Quel plaisir de suivre la destinée de cette famille, le tout agrémenté de photos et de lettres qui ont été conservées, autant de précieux instantanés d'une époque révolue...
Un régal, à lire... et à regarder en raison des très belles photos