Henri Leturc et son épouse, Mary Eléonore Jeanfrançois, ouvriers du textile, ont eu quatre enfants. Marie, en 1904, Alexandre en 1906, Andréa en 1908 et René en 1915.
S’il a été assez facile de retracer les parcours du père, jusqu’à son décès en février 1944 et des trois derniers enfants, il n’en est pas de même de la mère et de la fille aînée, présentes par intermittence dans les différents actes en notre possession ou en celle des archives.
Pour plus de facilité, dans la suite de ce récit de vie, nous appellerons la mère Mary Eléonore, et la fille aînée, Marie, tel qu’orthographié dans les actes.
À la Manufacture de coton d'Oissel, comme partout ailleurs, les journées de 10 à 12 heures sont encore la norme et le travail posté est répétitif. La poussière des fibres de tissus et l’absence de protection sont extrêmement pénibles et dangereuses pour la santé. Enfin, le bruit des machines qui tournent à plein régime est assourdissant, provoquant fréquemment des surdités.
Henri et Mary Eléonore ont peu de temps et de force après la journée de travail pour s’occuper de Marie gardée le plus souvent par une des tantes, par la grand-mère maternelle ou des voisins.
Les premières années de ce nouveau siècle, sous l’impulsion du mouvement des « Gouttes de lait » fondé à Fécamp en Seine-Inférieure, sont celles du développement des consultations de nourrissons et de la promotion d’une éducation maternelle en hygiène et en puériculture. C’est certainement dans ce cadre que Mary Eléonore consulte pour ses deux premiers enfants. Si le deuxième, Alexandre, se développe bien, les difficultés que rencontrent Marie, l’aînée, apparaissent d'autant plus criantes et elles n’échappent pas à sa mère, tout autant affectée que démunie.
Le 30 juin 1908, un médecin décide le placement d’office de Marie à l’Asile Public d’Aliénés de Saint-Yon à Saint-Étienne-du-Rouvray, dans la section des femmes où sont accueillis les enfants. Le diagnostic est aussi brutal que laconique : « idiotie » associée, on le verra plus loin, à des « mouvements choréiformes ».
Si l’enfant est internée d’office, cela ne présume en rien du désir d’Henri et Mary Eléonore, ses parents, quant à ce placement, accepté ou non, par l’un, l’autre ou les deux. Du point de vue de la médecine, le placement ne se fait pas contre les parents, mais uniquement par rapport au malade dont on considère que sa pathologie le met en danger lui, la société, ou les deux. Ce n’était certes pas le cas pour Marie encore très jeune enfant, mais ce placement était pourtant nécessaire pour que Marie soit prise en charge médicalement, pour soulager ses parents, sa fratrie grandissante et, point non-négligeable, pour que les soins soient pris en charge financièrement.
Mary Eléonore, en tout cas, en souffrira toute sa vie.
Les rapports semestriels du directeur-médecin en chef sur l’état de chaque malade tiennent en trois points : nature de la maladie, résultats du traitement et, enfin, opportunité de maintenir ou de faire sortir le malade. Concernant Marie, le diagnostic d’entrée n’évoluera pas, l’état sera systématiquement jugé stationnaire et la décision de maintien perpétuellement reconduite comme, d’ailleurs, pour la quasi-totalité des autres malades.
Les maladies infantiles et les décès en bas-âge sont certes encore monnaie courante. Mais même si on se replace dans ce contexte, le choc pour les parents et particulièrement pour la mère, est, sans aucun doute, terrible. La vie continue pourtant, il faut travailler pour nourrir la famille qui s’agrandit avec les deux derniers enfants.
Souffrant d’une claudication due à une jambe plus courte que l’autre, Mary Eléonore est opérée en 1918 pour ankylose au genou gauche. Mais ses maux physiques ne sont rien au regard des souffrances psychiques qui sont les siennes. Elle ne supporte pas le placement de sa fille aînée. Le regard et le jugement des voisins, qu'il soit ressenti ou réel, l’affectent et la minent. La vie devient difficile pour elle et, on peut l’imaginer, pour son environnement familial. Elle tient pourtant tant bien que mal le choc jusqu’à ce que René, son dernier, atteigne une dizaine d’années.
Le Récit-de-vie
Il s'agit, dans un article unique, ou bien dans une suite d'articles, de raconter en la contextualisant, la vie d'un ancêtre, d'un collatéral, d'une famille, voire même d'un village ou d'une paroisse.
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