Le couple Leturc a dû se résoudre au placement de leur petite fille Marie, mais la famille en pâtit. Pour Mary Eléonore, la mère, la souffrance est terrible et insupportable. Lire ou relire l'épisode précédent en cliquant sur ce lien.
Le Dr Sans, le 29 juillet 1925, prononce maintenant le placement d’office de Mary Eléonore dans la section des femmes de Saint-Yon où, depuis 17 ans, sa fille, aujourd’hui âgée de 21 ans, est internée. Au cours du premier entretien avec le médecin de l’asile, qui note une « surdité prononcée » de Mary Eléonore, les premiers mots de celle-ci sont pour sa fille : « Je ne suis pas folle, je suis la mère de Marie Leturc, de la salle Saint-Joseph ». Tout est dit ! En commentaire, le médecin ne peut que noter : « Exact ! ».
S’ensuit une explication détaillée du calvaire qu’elle vit « dans sa tête » au quotidien, l’environnement malfaisant, les sorts qui lui sont jetés. Atteinte de surdité, ce sont des « bruits » qui reviennent en permanence dans son discours. Les entretiens se poursuivent et les propos reviennent en boucle. Les médecins posent le diagnostic de « psychose délirante systématisée, caractérisée par des idées actives de persécution et des hallucinations diverses ». Elle reste placée jusqu’en mars 1926, puis retourne dans son foyer.
C’est cet été-là qu’Alexandre l’aîné se marie et quitte la maison familiale pour s’installer avec son épouse. Mary Eléonore, sa mère, n’est pas présente au mariage. La vie reprend son cours et c’est Andréa, maintenant âgée de 18 ans, qui en plus de son travail de canneteuse à la Manufacture, assure le quotidien de la maison et l’éducation de son jeune frère. La situation devient certainement difficile pour tous et, si l’on comprend la souffrance de la mère, on imagine celle des trois frères et sœurs et la force de caractère dont ils ont dû faire preuve pour se projeter vers l’avenir. Jamais ils n’en parleront, tous les trois réussiront leur vie.
En juin 1929, c’est le docteur Hempel, qui prononce un nouveau placement d’office qui, celui-là, sera sans retour. Là encore, le compte-rendu du premier entretien à l’asile est édifiant : « Malade bien portante physiquement [ 58 kilos] , visage coloré, accueil bienveillant, explique ses malheurs avec bienveillance, complaisance ». Le diagnostic de surdité, par contre, s’est aggravé et ce handicap a sans doute joué un rôle d’aggravation des symptômes psychotiques. Elle reparle alors des voix qui la hantent, « les voix d’hommes favorables », au contraire des « voix de femmes injurieuses et menaçantes ».
Peut-être peut-on trouver dans la conjonction entre la surdité, certainement très ancienne, de Mary Eléonore et le retard mental de sa fille une explication de la décision de placement d'office initial de Marie prise par le médecin. Celui-ci a en effet pu juger la famille « impropre » à s'occuper de l'enfant. C'est en tout cas le marqueur d'une incapacité de l'époque à accueillir correctement les sujets déficitaires, handicapés de tous genres et malades mentaux pour lesquels il n'existait aucun soin efficace. À noter, mais c'est une autre histoire, que dans notre pays ce déficit demeure amenant de trop nombreuses familles à trouver des solutions de placement à l'étranger, en Belgique par exemple.
Mary Eléonore déclare reconnaître certaines voix, dont « celle de la petite Marie ». Elle parle de ses enfants, de leur âge et les sait bien portants. Elle termine par sa fille aînée dont elle est séparée. La boucle est bouclée.
Mary Eléonore, au cours de l’entretien, avoue « des excès éthyliques notables ». La consommation journalière de vin, tant pour les hommes que pour les femmes, est « la norme » en ce début de siècle face, notamment, aux difficiles conditions de vie ouvrière. Un vieux fond de sagesse populaire accorde au vin d'immenses qualités. « Le vin, avec le pain et la viande, est un aliment de base qui rend fort et maintient en bonne santé ». Les excès avoués par Mary Eléonore portent, au-delà du vin, sur une consommation de rhum à tous les repas. On peut facilement imaginer que Mary Éléonore y cherche un moyen d’échapper à ses souffrances tant physiques que psychiques. Cet éthylisme, concomitant de sa pathologie, s’il n’en est pas un facteur causal, en est malheureusement à coup sûr un facteur aggravant.
Le diagnostic du médecin est le même que celui porté quatre ans auparavant. Les rapports évolueront peu entre « psychose délirante chronique ou périodique » et « déséquilibre psychique ». « Traitée », lit-on ! Son état est systématiquement jugé stationnaire. À partir de 1933, si son état mental est jugé stable, il est précisé que « sa surdité empêche maintenant tout interrogatoire ». Cependant, les hallucinations persistent. Ce constat posé, il est clair que l’on ne peut maintenant plus rien pour elle. Son dossier à l’Asile Saint-Yon reste désormais vierge.
Le Récit-de-vie
Il s'agit, dans un article unique, ou bien dans une suite d'articles, de raconter en la contextualisant, la vie d'un ancêtre, d'un collatéral, d'une famille, voire même d'un village ou d'une paroisse.
Devenez membre du site, pour suivre les "Récit-de-vie".
Vous pourrez ainsi commentez et échanger avec les autres membres du site... et encourager l'auteur de ce site
En quelques clics, en haut de toutes les pages du site, suivre les instructions :
Comments