Les bombardements ont partiellement détruit l’asile St-Yon où Mary Eléonore est internée, mais elle en réchappe. Avec 900 autres aliénés, elle est évacuée à l’annexe de l’hôpital psychiatrique de Clermont-de-l’Oise, dans l’annexe de la ferme de Villers-sous-Erquery.
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Le premier acte porté dans son dossier est la pesée. Elle a perdu 15 kilos et n’en pèse plus que 43. Elle est contrôlée tous les mois et perd encore 6 kilos d’ici à juin 1944. Après, son état ne permet même plus de la peser et elle continue de maigrir.
« De nombreux malades pesaient moins de 30 kilos. La photo ci-jointe est plus éloquente que toute description. Elle ne représente pas de cas extrêmes : en effet, tous les malades sont debout, ce qui, dans un quartier de 250 malades, était impossible à une centaine d’entre eux » écrit le médecin chef. Il poursuit : « L’œdème cachectique a présenté au début une période de grande fréquence et, par la suite, il a disparu : en 1944, où la mortalité féminine par insuffisance alimentaire a été assez accentuée, les œdèmes de carence ont été exceptionnels. » C’était un symptôme d’une grande gravité [-] On a observé le plus grand nombre de décès en 1944 (87 sur 263 malades). Cette mortalité s'est surtout établie aux dépens des malades transférées de Rouen. »
Pour les personnels d’Erquery, l’heure est avant tout aux soins minimaux pour « alléger », autant que possible et si faire se peut, les souffrances des patients. Mary Eléonore passe deux mois alitée à l’infirmerie avec, en effet, des œdèmes des jambes, signe d’une forte dénutrition.
Elle quitte l’infirmerie et les infirmiers notent qu’elle parle beaucoup avec « ses voix ». Son état, malheureusement, continue de s’aggraver de jour en jour. De nouveau alitée, elle n’a plus, à son tour, la force de se relever.
Le 15 août 1944, le Dr Hyvert adresse un billet à son mari, Henri LETURC : « J’ai le regret de vous informer que votre malade est dans un état physique très inquiétant. Une amélioration ne peut guère être espérée. » Il ne sait pas que le dit mari est déjà décédé depuis 6 mois. Les enfants, quant à eux, n’ont certainement jamais reçu ce billet.
Mary Eléonore décède le 21 août 1944 à 7 h 30 du matin, enfin libérée de ses souffrances. Peut-être, mais rien n’est moins certain, les enfants en ont été informés lors de la transcription de l’acte par la mairie de Saint-Étienne-du-Rouvray le 25 septembre 1944.
La défunte n’apparaît pas dans le registre des personnes inhumées au cimetière de Clermont-de-l’Oise où étaient enterrés les malades de l’hôpital psychiatrique. Peut-être son inhumation a échappé à la transcription sur le registre, eu égard au grand nombre de morts, pour la plupart indigents. Peut-être a-t-elle été inhumée à Erquery. Certainement, en tout cas, dans une fosse commune tant les morts affluent.
Ce long article a été, vous l’imaginez, difficile à écrire. Nous nous sommes bien sûr posé la question de ce qu’il convenait de dire ou de taire. Alexandre, Andréa et René, les trois enfants qui ont vécu ces événements, ont choisi, en leur âme et conscience, de ne pas parler de ce qu’ils savaient ou imaginaient. Ce choix est le leur, légitime, compréhensible, indiscutable. Aujourd’hui, le temps a passé. En choisissant de relater ces faits, nous ne pensons pas trahir leur silence. C’est un devoir de mémoire qui nous guide. Ces femmes et ces hommes, parmi lesquels Mary Eléonore et sa fille Marie, qualifiés de fous, ont payé eux aussi un lourd tribut passé trop longtemps sous silence. Un hommage national leur a certes été rendu sous la présidence de François Hollande, ainsi qu’un hommage de la mairie de Clermont-de-l’Oise qui a érigé une stèle en leur mémoire dans le cimetière municipal.
Mais à notre connaissance et sauf erreur de notre part, la fin tragique des patients de Saint-Étienne-du-Rouvray, et plus largement de tout le département de Seine-Maritime, n’a fait l’objet d’aucun hommage au Centre Hospitalier du Rouvray. Avec Annie Perier, petite-fille de Mary Eléonore, quand nous avons découvert cette vérité, nous avons décidé, quand nous aurons suffisamment d’éléments pour le faire, de sensibiliser les autorités du conseil départemental de Seine-Maritime, de l’agglomération rouennaise en général et des communes de Sotteville et Saint-Étienne-du-Rouvray en particulier pour qu’un acte soit porté et qu’un hommage soit rendu à ces victimes invisibles. Pour ne pas les oublier. Annie, depuis, est décédée. Trouverai-je la force de tenir notre engagement commun ?
Le Récit-de-vie
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