« Il est des mémoires d’hommes qu’il est bon de conserver ». Amédée Teyssier.
« D’honnêtes gens de notre province ont un fils qu’ils placent dans l’épicerie ; il quitte cet état pour celui d’architecte, ne fait ses affaires ni dans l’un ni dans l’autre, passe de là dans l’Église, et meurt, jeune encore, à l’entrée de sa nouvelle carrière ». Comte Alexandre de Beaurepaire.
La famille PIEL à Lisieux.
Louis Maurice PIEL (1780-1849), fils de merciers, et son épouse Joséphine QUESNEL (1788-1814), fille de marchands de frocs, sont eux-mêmes marchands épiciers à Lisieux ; famille honnête et éminemment chrétienne de la petite bourgeoisie commerçante lexovienne, ils jouissent d’une certaine aisance.
Trois enfants naissent de cette union, Louis Alexandre, en 1808, Marie-Joséphine un an plus tard et Charles « Gustave » en 1811 ; leur mère décède rapidement, en 1814, et c’est une cousine qui élève les trois enfants. En 1826, un revers de fortune anéantit la prospérité familiale. L’aîné, Louis-Alexandre, alors en 3e au collège, décide, malgré l’insistance de son père, d’abandonner ses études pour travailler, d’abord à Paris durant quatre ans comme commis chez un droguiste ami de la famille, puis comme apprenti chez un oncle notaire à Orbec.
Je serai architecte ou je ne serai rien !
Pourtant, en juillet 1832, il déclare à son père son souhait de devenir architecte qui réagit ainsi : « Comment, mon ami, y songes-tu ? Tu vas avoir vingt-quatre ans, il te faudra peut-être dix années d’études et de travail, car tu ne voudras pas être un architecte médiocre ; le peu qui te revient du côté de ta mère ne te suffira pas, et tu sais que ma position ne me permettra pas d’y suppléer ! ». Louis-Alexandre est déterminé : « J’ai songé à tout cela, répondit-il, j’ai prévu que tu me ferais toutes ces objections, mais j’espère abréger le temps, et si je dépense ce qui peut me revenir, j’aurai du moins atteint mon but. Enfin, cher papa, ajouta-t-il avec beaucoup de douceur, mais avec une grande fermeté, je serai architecte ou je ne serai rien. »
En 1833, il est à Paris, dans les ateliers de M. Debret, architecte en chef de la Ville de Paris. Il s’oppose aux formes architecturales qui y sont pratiquées, préfère la compagnie des élèves d’Ingres qu’il fréquente et avec qui il prône les anciens contre les modernes, allant même jusqu’à souhaiter une rénovation de l’art architectural. Il fréquente l’École de Buchez pour y discuter philosophie, économie, art et religion. Il entreprend en 1835 un voyage en Allemagne pour étudier l’architecture contemporaine et ses publications lui valent d’être signalé par Montalembert comme un ami de l’art catholique.
En 1837, il est appelé à donner le plan de l’église Saint-Nicolas à Nantes. Son projet, gothique, est mis en concurrence avec celui d’un architecte local préférant, avec les autorités nantaises, le grec et le romain ; foin, c’est le normand qui l’emporte néanmoins en terres bretonnes. C'est l'architecte Jean-Baptiste-Antoine Lassus qui sera chargé de sa mise en œuvre.
Ce séjour à Nantes aura une haute influence sur le reste de sa courte vie. Il y rencontre Niccolò Tommaseo, écrivain italien exilé « volontaire » en France et surtout Hippolyte Réquédat. Ensemble, ils étudient saint Thomas d’Aquin dont ils deviennent disciples. Il écrit à son père : « Nous ne serons jamais riches… mais nous avons en nous un trésor inépuisable aux plus prodigues : j’entends la charité, non seulement qui nourrit et vêt, mais aussi la charité qui enseigne, qui redresse et qui console. »
Piel rejoint Paris avec sa sœur Marie-Joséphine et son frère Charles « Gustave ». Ensemble, ils s’installent rue du Cloitre-Notre-Dame où Louis-Alexandre ouvre un atelier. De là, il peut entendre « la voix de l’église et les prières des fidèles. Une bien petite distance le séparait du séjour de la pauvreté souffrante. » Il s’insurge contre la dégradation de Notre-Dame, à l’instar de Victor Hugo dans son ouvrage Guerre aux démolisseurs. Avec son ami Hyppolite Rédéquat, qui les rejoint, ils fréquentent de jeunes artistes et intellectuels qui partagent avec eux la même quête religieuse.
L’appel de Lacordaire et la mort de sa sœur.
Grâce à son ami, Piel renoue avec la pratique religieuse, à la grande joie de son père et de sa sœur. Rédéquat rejoint Lacordaire et se voue au rétablissement de l’Ordre de Saint-Dominique quand Piel entend encore poursuivre son art. Mais sollicité par Lacordaire lui-même pour fonder une confrérie d’artistes, Piel franchit le pas et est élu prieur de la confrérie Saint-Jean l’Évangéliste.
Piel hésite encore à reconnaître sa vocation, mais la mort de sa sœur, « une mort édifiante » à laquelle il assiste et qui le touche profondément, l’amène à faire le choix de prendre l’habit des Frères prêcheurs.
Piel rejoint Lacordaire pour son dernier voyage.
Piel quitte Paris le 20 avril 1840 pour entrer dans l’ordre de Saint-Dominique. Il quitte la France pour Sainte-Sabine à Rome où il retrouve Lacordaire et Rédéquat, dont la santé donne des signes d’inquiétude. La maladie semble incurable et dès lors Piel accompagne son ami jusqu’à sa mort, le 2 septembre 1840.
Le 11 mai 1841, Piel rejoint le couvent de Bosco, dans le Piémont, où il reçoit l’habit de Dominicain, avec le nom de Frère Pie. Il commence son noviciat et comprend bientôt qu’il est atteint de phtisie pulmonaire, comme son ami défunt, et que sa fin approche. Il fait sa profession le 30 novembre et meurt le 19 décembre au couvent à l’âge de trente-trois ans.
Mais pourquoi nous parle-t-il de ce Louis Alexandre PIEL, pensez-vous certainement !
Vous devez en effet vous demander, si toutefois vous avez tenu jusqu’ici, ce que cet inconnu vient faire dans ce blog consacré à l’histoire familiale des Thirel, Dailly et de leurs alliés.
Si vous avez bien lu, vous avez remarqué au début de l’article que Louis-Alexandre avait une sœur, Marie-Joséphine, morte jeune comme lui, mais aussi un frère, Charles « Gustave », le benjamin, dont ce papier ne parle pas quasiment pas.
Le dictionnaire biographique des Frères prêcheurs, dans la notice consacrée à cet illustre personnage, mentionne que « Louis-Alexandre [-] est l’aîné d’une fratrie de trois enfants, une sœur qui tiendra une place importante dans sa vie, et un frère dont on ignore tout ».
Si les historiens ignorent tout du troisième de la fratrie Piel, nous avons, quant à nous, matière à combler, quelque peu, cette lacune…
En relisant l'article consacré à Armand KLEIN (mon grand-père) - en cliquant ici - vous vous souviendrez en effet que Charles « Gustave » PIEL (le frère de Louis Alexandre dont les historiens ignorent tout) est l'homme qui a recueilli, en 1847, mon grand-père abandonné par sa mère. La tradition orale dit même que Charles « Gustave » PIEL serait en fait son père biologique et, dans cette hypothèse, mon bisaïeul…
Nous reviendrons dans de prochains articles sur la vie, pour le moins mouvementée, de ce Charles « Gustave » PIEL.
L’écriture de cet article a été possible grâce à la lecture des ouvrages suivants :
Les parties en italique sont des citations des ouvrages qui suivent :
OpenEdition. PIEL Louis-Alexandre ; PIEL Louis-Alexandre à l’état civil ; PIEL, Pie en religion. Disponible sur https://journals.openedition.org/dominicains/1481
TEYSSIER, Amédée. Notice biographique sur Louis-Alexandre PIEL, architecte, religieux de l’ordre de Saint Dominique. Paris : Débécourt, Libraire-Éditeur, Paris. 1843.
Comte de BEAUREPAIRE, Alexandre. Frère Piel de Lisieux. Caen : Mancel, Libraire-Éditeur, 1844.
Le Récit-de-vie
Il s'agit, dans un article unique, ou bien dans une suite d'articles, de raconter en la contextualisant, la vie d'un ancêtre, d'un collatéral, d'une famille, voire même d'un village ou d'une paroisse.
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Quel parcours ! Je lirai avec plaisir la vie de Charles "Gustave".
Un parcours de vie extraordinaire !