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Photo du rédacteurAlain THIREL-DAILLY

Récit de vie : Victor DAILLY, marqué à vie par son passé.

Vous avez suivi l’enfance et la jeunesse de Victor DAILLY, enfant de l’Assistance Publique, comme celle de son frère Louis, de dix mois son cadet. Sinon, vous pouvez la découvrir en suivant ce lien avant de commencer la lecture de ce nouvel épisode…

S’il n’est pas encore majeur et dépend donc toujours de l’Assistance Publique qui assure sa tutelle, Victor veut prendre sa vie en main.

Le 5 mars 1918, alors qu’il venait d’avoir 15 ans, il avait déjà adressé une demande d’engagement dans la marine, refusée par sa tutelle eu égard à son trop jeune âge. Mais il ne renonce pas pour autant et, quand il atteint ses 18 ans, il renouvelle sa demande. L’affaire est vite réglée, le 21 mars 1921 le maire d’Évreux délivre à la demande de l’assistance un « certificat de bonne vie et moeurs » et deux jours plus tard il peut, enfin, signer son engagement pour cinq ans.

Certificat de bonne conduite et moeurs

Victor arrive à Cherbourg deux jours plus tard pour effectuer sa période d'instruction, comme Canonnier-conducteur au sein du 2ème régiment d’artillerie coloniale. Au titre de cet engagement il perçoit une prime de 500F qui est portée sur son compte de tutelle dont il ne pourra disposer librement que lorsqu’il sera majeur.

Le 30 mars 1921, il sollicite auprès du directeur de l’Assistance Publique l’envoi de la somme de 50 francs à prélever de son livret d’épargne puisqu’il est désigné, écrit-il, pour servir au Maroc. Il doit quitter Cherbourg le 15 du mois suivant.

Le départ n’a pourtant pas dû être aussi rapide que prévu puisque le 1er octobre Victor est maintenant à Toulon où il suit des cours de photo-électrique sur l’ancien cuirassé « Patrie » réarmé en tant que bâtiment école.

En 1922, n’étant pas encore majeur, il adresse une demande de consentement au directeur de l’assistance pour partir aux colonies. Cette fois-ci, le départ semble s’approcher.

Demande de consentement pour s'engager

Son régiment est dissous dans le cadre de la réorganisation des unités d’artillerie décidée en 1923 et c’est donc avec le 1er régiment d’infanterie coloniale du Maroc qu’il embarque le 10 mars. Il semble s’y faire immédiatement remarquer puisque le 24 du même mois il adresse de Tadla, près de Marrakech, un courrier désespéré à l’AP ayant « un besoin urgent d’argent pour rembourser des dégâts qu’il a occasionné à Casablanca ». Il dit s’être engagé à rembourser pour éviter le conseil de guerre. La direction de l’AP reste perplexe quant à la véracité de l’objet de cette demande sans que nous sachions si elle y a donné suite…


Depuis 1921 l’opération maladroite de pacification espagnole dans le Rif marocain se transforme en déroute retentissante contre les tribus berbères menées par Abdelkrim El Khattabi. Dès lors le maréchal Lyautey sait qu’il aura à affronter tôt ou tard les guerriers du Rif. C’est dans ce contexte pré-conflit que Victor sert au Maroc. L’engagement inéluctable de la France dans le conflit interviendra le 15 avril 1925.

Mais Victor, finalement, n’y participera pas puisqu’il est condamné deux mois plus tôt le 28 février 1925 par le Conseil de Guerre de Casablanca pour vol militaire. La peine de un an de prison est assortie d’un sursis pour circonstances atténuantes. Contraint, il quitte son régiment le 20 mars et embarque à Casablanca pour rejoindre Bordeaux où il est affecté au 111ème régiment d’artillerie coloniale. Il est finalement « renvoyé dans ses foyers » le 26 octobre 1925 sans avoir complètement honoré son engagement de cinq ans. Son aventure militaire prend fin.

Logiquement, Victor revient dans l’Eure, chez Gaston Ménard, à Acquigny, où il résidait avant son engagement. Il y reste en pension au moins jusqu’en 1926, ayant trouvé un emploi de forgeron au sein de l’entreprise Euvrard et Guidot.

Trois ans plus tard, en 1929, Victor est à Arles où il réside chez M Boyer, restaurateur. Il a certainement décidé de mettre une nécessaire distance avec son passé, ce qui peut fort bien se comprendre… Toutefois, nous ne savons pas s’il exerce une activité et a fortiori laquelle. Victor approche de ses trente ans. A-t-il su rebondir grâce à ce changement de région, eu égard à l’enfance et à l’adolescence difficiles qu’il a connues.

En tous cas, il semble vouloir rester dans le sud, puisque nous le retrouvons à Tarascon, en février 1932. Mais, malheureusement, les choses ne semblent pas s’arranger pour lui… Il y est condamné par jugement contradictoire du Tribunal correctionnel à un mois de prison pour vol et ce genre de situation va se renouveler. La spirale infernale a repris et s’emballe même.

À nouveau Victor change d’horizon, quittant le sud, peut-être pour remonter vers ses terres d’origine. Il est condamné le 21 janvier 1936 par jugement contradictoire du Tribunal correctionnel de Troyes à un mois de prison pour vagabondage et mendicité commis le 10 janvier  1936. Il sera amnistié de cette condamnation au bénéfice de la Loi d’Amnistie du 12 juillet 1937. Le 13 février 1936 il est contrôlé sans billet dans un train qui le ramène vers la région parisienne. Faute de régler sa contravention, il est condamné par jugement par défaut par le Tribunal Correctionnel d’Auxerre à 100F d’amende. Nous n’avons pas à faire, nous le comprenons bien, à un bandit de grand chemin, mais plutôt à un homme à qui la vie n’a pas souri, c’est le moins que l’on puisse dire, qui a sûrement fait les mauvais choix et qui sombre petit à petit, vivant d’expédients et de menus larcins alimentaires.

En 1938, l’Europe est en crise et les militaires se préparent à l’imminence d’un nouveau conflit. La société n’oublie pas Victor à qui on signifie l’ordre de se tenir à la disposition du 32ème régiment d’Artillerie en cas de mobilisation.

Il reprend alors la route du sud où il écope d’une nouvelle condamnation à trois mois de prison, au Tribunal Civil de Toulon, pour délits de vol, vagabondage, mendicité et défaut de carnet anthropométrique. Le carnet anthropométrique a été institué en 1912 pour permettre d’identifier et de surveiller les déplacements des nomades (on dirait aujourd'hui des « SDF ») sur le territoire français, ce dernier élément nous confirmant, malheureusement, la mauvaise situation de Victor.

La commission de réforme de Versailles du 9 novembre 1939 ne l’oublie quant à elle pas et  le classe « service armé ». Le retour sous les drapeaux se profile quand le conflit s’engagera.

Depuis cette commission de novembre 1939 nous avions, jusqu’à ces derniers jours, perdu définitivement la trace de Victor. Définitivement, ou presque puisque, de mémoire d’enfant rapportée par sa petite nièce, mon épouse, Victor se serait présenté chez son frère Louis, au Vaudreuil au début des années 1960. Mais, à ce moment, son frère était déjà décédé et l’épouse de celui-ci l’aurait éconduit.

Il nous faudra sûrement du temps, avant de pouvoir éclaircir, à partir de nouveaux éléments dont nous disposons, la suite des aventures de Victor. Mais encore une fois, s’il en était besoin, preuve est faite qu’en généalogie il ne faut jamais dire jamais…

À suivre donc, dans un futur plus ou moins proche…

 
Le Récit-de-vie

Il s'agit, dans un article unique, ou bien dans une suite d'articles, de raconter en la contextualisant, la vie d'un ancêtre, d'un collatéral, d'une famille, voire même d'un village ou d'une paroisse.

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