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Récit de vie : Victor et Louis Dailly 1904-1924 (1)

Pour mon frère Victor et pour moi Louis DAILLY débutent, en ce 5 octobre 1904, deux décennies qui détermineront nos destins respectifs.

L’été a été caniculaire. La sécheresse a sévi et un ouragan a traversé nos régions. Mais ça n’est rien à côté de celui qui a brisé nos vies ! J’ai à peine plus de 9 mois et mon frère un peu plus de 18 ! En juillet dernier, notre mère est décédée à l’hôpital de Pont-de-l’Arche. (Voir Article Augustine Cambour)

Nous sommes recueillis en nourrice pendant un peu moins de trois mois chez nos grands-parents Jules Ernest Dailly et Augustine Lefebvre, son épouse. Malheureusement ni nos aieux ni notre père ne sont jugés aptes à assumer notre éducation. La décision est sans appel, définitive, irrévocable. Autant dire que nous grandirons, au moins jusqu'à notre majorité, dans l’ignorance de nos origines, sans aucun souvenir de nos parents biologiques et de notre famille dont nous sommes séparés. (Voir article Jules Dailly)

Matricules 2976 et 2977 de l’Assistance Publique de l'Eure

Les lois de juin 1904 ont institué le service départemental d’assistance à l’enfance au sein duquel nous sommes admis en ce début octobre, sous les matricules 2976 et 2977.

Dossier d'admission d'enfants à l'Assistance Publique de l'Eure
Dossier d'admission de Louis Dailly à l'AP de l'Eure

Nous sommes immédiatement placés, selon le terme consacré, chez Henri CONFAIS et son épouse Eugénie à Ezy-sur-Eure. Ce sera notre première famille nourricière. Lui, âgé de 37 ans est maçon et elle, la trentaine, est blanchisseuse. Ils ont une petite fille, Pauline, âgée de 7 ans.

Je suis en bonne santé, même si je n’ai pas été vacciné. Avec mon grand frère, nous couchons dans le même grand lit, proximité rassurante pour nous. Victor aussi se porte bien et c’est même un bel enfant, blond frisé, fort, avec des yeux noirs profonds. C’est en tous les cas ce que dit l’unique rapport d’inspection qui aura lieu dans ce placement jugé « ordinaire ».

Des tensions naissent au sein du couple obligeant Eugénie, notre mère nourricière, à nous rendre à l'Assistance Publique. «Son mari la délaissant, elle ne peut subvenir aux besoins de la famille. Elle est obligée de travailler en dehors de la maison pour vivre et élever sa propre fille».


Lettre Maire d'Ezy à l'Inspecteur AP 27
Lettre Maire d'Ezy à l'Inspecteur AP 27
Les placements s’enchaînent…

Nous quittons donc ce premier placement alors que j’atteins mes 3 ans. Si toutefois nous avions commencé un début d’attachement, tout est à recommencer.

En novembre 1906, nous arrivons à Boisset-Les-Prévanches, chez le couple Eugène FERDINAND, facteur des postes et son épouse Julienne qui s’occupe du foyer. Ils sont mariés depuis 1901 mais n’ont pas encore d’enfant. Nous y recevons de bons soins, sommes toujours jugés en bonne santé, et à la rentrée scolaire 1907 mon frère, bien que seulement âgé de 4 ans et 9 mois, est scolarisé et fréquente régulièrement l’école. J’allais presque dire que nous commençons à vivre une vie d’enfants « comme les autres ».

En cette fin d’année 1907, les rondeurs que prend notre mère nourricière ne laissent plus planer le doute, Julienne attend un heureux évènement. La naissance est prévue pour avril prochain et il devient difficile pour elle de s’occuper de nous. Peut-être, aussi, choisit-elle avec son époux de se consacrer uniquement à cet enfant qui arrive après 7 ans de mariage et d’attente de cette grossesse.


Lettre famille d'accueil au Directeur de l'AP 27
Lettre Albertine Ferdinand au Directeur de l'AP 27

1908 est une année bissextile et c’est le 29 février que nous découvrons le foyer d’Eugène FRANCÉ, 28 ans, laitier, et sa jeune épouse Camille, 20 ans, ménagère, au Plessis-Grohan. Ils sont mariés depuis 20 mois et n’ont pas encore d’enfant. Malheureusement le couple est congédié de la maison qu’ils occupent et doit se séparer de nous à peine trois mois après nous avoir accueillis ! Mais peut-être est-ce mieux ainsi, la brouille s’installait déjà au sein du couple qui divorcera l’année suivante.


Courrier famille d'accueil à l'Inspecteur de l'Assistance
Courrier Eugène Francé à l'Inspecteur de l'Assistance

A cette date j’ai à peine 4 ans et demi, mon frère un peu plus de 5 et nous avons déjà connu 3 foyers différents, outre ceux de nos parents et grands-parents.

Nouvelle famille à Notre-Dame-du-Vaudreuil.

Les familles postulantes pour accueillir des enfants doivent être nombreuses, il n’y a jamais de temps de vacance entre la fin d’un placement et le suivant. C’est donc à Notre-Dame-du-Vaudreuil, au lieu-dit Le Torché, que nous arrivons le mardi 27 mai 1908 chez Henri MONNIER et son épouse Angèle.

Le lieu dit du "Torché" à Notre-Dame du Vaudreuil.
Le lieu dit du "Torché" à Notre-Dame du Vaudreuil.

Henri, 46 ans, est chaussonnier et son épouse Angèle 40 ans est d’une très bonne moralité, selon le rapport préalable à notre accueil. De cette union ancienne de 18 ans déjà, ils ont eu une fille, Cécile, âgée de 15 ans.

Avec Victor, nous sommes forcément méfiants et inquiets de ce nouveau chambardement dans nos vies. Nos parents nourriciers, plus âgés, nous intimident, mais peut-être leur fille Cécile, presque jeune-fille, sera une présence bienveillante pour nous. Peut-être pas. L’expérience de la vie acquise par ces « nouveaux parents » leur permettra-elle de trouver les ressources pour nous offrir un foyer enfin stable. En tout cas, le rapport préalable sollicité par les services départementaux au maire de Notre-Dame-du-Vaudreuil est très favorable.

Pourtant, 3 mois à peine après notre arrivée, notre nourrice écrit au Département en ces termes : « Vous m’avez confié deux pupilles, Victor Auguste Dailly et Louis Ernest Dailly. Il y en a un, Louis,  qui est très gentil et qui a bonne santé mais il n’en est pas de même de Victor que j’ai été obligé de faire voir au médecin, il est très jaloux de son frère, se contrarie seul, impossible de lui faire une recommandation que le sang lui part du nez, c’est très ennuyeux de voir cela se répéter tous les jours. Je préfère vous en donner connaissance je veux bien garder Louis, mais Victor non. »

Courrier entre famille accueil et assistance publique
Lettre femme Monnier au directeur de l'assistance

Les comptes-rendus d'inspection sont sommaires :

Comptes-rendus d'inspectio de l'AP 27 aux familles
Comptes-rendus d'inspectio de l'AP 27 aux familles
 
Le Récit-de-vie

Il s'agit, dans un article unique, ou bien dans une suite d'articles, de raconter en la contextualisant, la vie d'un ancêtre, d'un collatéral, d'une famille, voire même d'un village ou d'une paroisse.


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5 Comments

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Guest
Mar 25
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Bonjours ce parcours ressemble à celui de ma grand-mère paternelle (1870/1955) née enfant naturelle non reconnue abandonnée par sa mère et confiée à l'assistance publique Si elle ne connut qu'une famille nourricière jusque ses 12 ans elle fut des lors placée comme servante chez beaucoup de patrons et son dossier me raconte sa vie jusqu'à son 1er mariage en 1894 ....Elle eut 14 enfants en 2 mariages....Elle divorcera de son second mari...Quelle vie !

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Guest
Mar 23

Bien tristes vies que celles des enfants placés. Il est à noter qu'ici les frères n'ont pas été séparés, au moins durant les premières années... ce qui n'était pas toujours le cas.

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Merci, il y aura encore deux articles avant leur majorité.

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Guest
Mar 23

très émouvant, qu'est devenu Victor DAILLY ?

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Merci de votre intérêt, il y aura encore deux articles racontant leur parcours avant majorité, un pour Victor après majorité et le reste de la vie de Louis à venir.

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